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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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glissa Lapardula.
    Tout ce beau monde fut mélangé. On les fit mettre en file, couple devant couple et l’on passa une autre longue et grosse chaîne dans tous les anneaux. Ils s’intercalèrent entre deux religionnaires, un certain Jeremy d’une vingtaine d’années et un vieillard du nom de Balthasar, et deux droits-communs, l’un du nom de Rembard, une sorte de colosse à la bouche déformée, et un nommé Guichot, sec et noir, long comme un bâton de vanille.
    L’homme en civil vint les observer de près. C’était une sorte de capitan à la mode de l’ancien temps, bottes molles, cape large, chapeau de feutre à larges bords et fouet tressé à la ceinture. Il avait écouté l’énoncé des condamnations, l’oeil droit fermé, la lèvre du bas luisante à cheval sur celle du haut, dans l’attitude concentrée du maquignon rusé qui jauge le bétail.
    — C’est Langlade, le capitaine, murmura Lapardula.
    L’homme s’approcha de Guillaume. Le jeune procureur avait déjà rencontré certains de ces entrepreneurs privés appelés « capitaines de la chaîne », vétérans de l’armée ou de la maréchaussée, à qui le roi concédait l’acheminement des galériens jusqu’à l’arsenal. Celui-là, comme les autres, avait dû investir son capital de départ dans le fourniment que la marine ne procurait pas : chaînes, colliers, rivets, et il prenait à sa charge l’embauche et le paiement des gardes ainsi que l’ensemble des frais de fonctionnement du convoi, en particulier la nourriture et le logement des forçats. En contrepartie, il recevait une somme forfaitaire pour chaque homme parvenu vivant à Marseille. Sur la base de trente livres en moyenne par condamné, si tout se passait bien, l’opération pouvait être rentable, même fructueuse.
    Ce ne fut que vers les trois heures de l’après-midi que la chaîne, forte de plus de quatre-vingts hommes, d’une chaudière roulante pour cuisiner les repas, de cinq charrettes couvertes pour le transport des malades, s’ébranla au milieu d’un grand concours de peuple. Les Parisiens ne rataient pas ce spectacle, une ou deux fois l’an, et venaient en famille voir ce curieux équipage, cette gigantesque arête de poisson qui se désarticulait à l’angle des rues. Des femmes et des enfants de forçats s’étaient sans doute mêlés à la foule parce qu’on entendit des noms criés au-dessus de la mêlée et qu’il y eut quelques tentatives de forcer le cordon des soldats vite réprimées à coups de crosse de fusil. Guillaume, inquiet, chercha Delphine des yeux mais il était impossible qu’elle fût déjà prévenue.
    Des exempts et des archers du guet, les premiers en justaucorps bleu galonné d’argent, les seconds en justaucorps gris à parements rouges, les escortèrent jusqu’aux portes de Paris sous les rires et les quolibets. Des minimes en robe grise, des bénédictins en bure noire priaient sur leur passage en recommandant leur âme à Dieu. Et pour l’occasion, les maîtres avaient sorti de l’orphelinat la troupe éclatante des Enfants rouges afin de leur montrer ce qu’il adviendrait d’eux s’ils ne respectaient pas l’autorité du roi et celle du Seigneur.
    Juste avant la barrière de l’octroi, Guillaume aperçut le carrosse de M. de Chabas. L’homme, la portière ouverte, debout sur le marchepied, tentait de dominer la foule des curieux. Leurs regards se croisèrent et M. de Chabas, d’un geste furtif et qu’il sembla regretter aussitôt, lui fit un signe de la main.
    — Maintenant, lui dit Lapardula. Tu ne parles plus. Tu prends le même rythme que moi et tu te concentres sur ta marche.

    2.
    La pluie vernissait les couleurs, faisait resplendir la campagne en s’accrochant aux bosquets, aux futaies, brossait les herbages, badigeonnait les chemins d’une boue phosphorescente qui dessinait de grosses lèvres noires en bordure des champs. Delphine descendit de la voiture en tâtant le sol boueux. Quelques éclaboussures vinrent tacher le revers de sa robe.
    Au village de Saint-Rémy, le curé n’avait pas fait de manières pour la renseigner : les Gallion, oui, bien sûr, il connaissait bien la famille, de gros fermiers qui avaient eu jusqu’à une cinquantaine de vaches et il se rappelait très bien de Jean, un bon gars, promis au séminaire. Il ne restait plus que l’oncle, l’Ambroise, qui avait laissé un peu tout à l’abandon à la mort de son frère, le père de Jean. Les bâtiments, pour

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