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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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étrange, monocorde et lancinante, hésitant entre le chant et le gémissement, sortait de sa bouche sans dents. Priait-il ? Et vers quel dieu ? Quelqu’un lui cria de se taire, puis un autre. Mais l’homme, loin de s’arrêter, haussa le ton d’un cran et leva les bras vers la lumière. C’était un psaume qu’il scandait, selon un rythme ensorcelant, comme un tambour de brousse. Un guichetier, alerté par le bruit, vint lui ordonner de cesser. C’était une sorte de brute, dont le sang affleurait aux naseaux. Il ordonna à l’homme de se taire, sous la menace de lui casser la tête d’un coup de pistolet. Mais l’autre s’acharnait. À la fin, deux autres vinrent à la rescousse et tous trois le rouèrent de coups jusqu’à ce que le malheureux, assommé sans doute, consente à faire silence.

    4.
    Les cloches de la ville annoncèrent six heures du soir. La lumière du soleil couchant dansait sur Auxerre, le long du fleuve. Elle frappait, bohémienne, les toits d’ardoise avec le bout de ses pieds nus et ses talons, faisait résonner sur les pavés et les parapets des ponts ses bracelets de cuivre et ses lourds colliers. Les tintements de ses bijoux s’accrochaient au fond sonore du murmure de l’Yonne, invisible et grondante. Devant l’église Saint-Pierre, les laquais et le cocher du carrosse de Mme Beaumont fumaient de la même vapeur que les chevaux, transis de froid, attendant depuis plus de deux heures Mme de Lautaret.
    Delphine avait écrit au chanoine Dubeuldy et celui-ci, tombé sans doute sous le charme de sa « belle rêveuse », avait accepté de la recevoir à nouveau et de fouiller pour elle dans les archives de l’évêché. Elle avait bien dû, cette fois, lui avouer la véritable raison de sa visite. Il en parut un peu déçu.
    — Peut-être me suis-je trompé en vous dédouanant de complicités avec le démon, grogna-t-il en souriant. Voilà que vous m’entraînez dans une enquête de police !
    — Avez-vous pu… ?
    — Ne soyez pas si impatiente ! Oui. J’ai retrouvé votre couvent, un couvent de bénédictines où l’on enfermait les jeunes filles de la bonne société d’Auxerre. Et il s’en est passé de belles !
    Il poussa devant lui un épais dossier.
    — De belles, oui, au temps de votre Mme de Saintonges, reprit-il en hochant sa grosse tête au sommet de laquelle sa calotte grise ressemblait à un couvercle de théière.
    Il essuya ses lunettes, les ajusta soigneusement sur son nez et commença à feuilleter les pages.
    — Quatre-vingts pièces cotées dans les archives de l’évêché, des témoignages, des dénonciations : votre couvent était un lieu de perdition. Plusieurs familles en ont retiré leurs filles en se plaignant à Monseigneur. Il y avait bien sûr le relâchement de la règle, comme vous me l’avez écrit, mais il y avait bien plus grave.
    Delphine se tenait en équilibre sur le bout de la chaise. Elle tentait de lire à l’envers les documents sur lesquels le chanoine laissait courir ses doigts.
    — La mère supérieure et plusieurs de ses bénédictines ont été accusées de… d’avoir des amitiés particulières… d’entretenir entre elles des relations équivoques.
    — Je comprends, dit Delphine. C’était une autre Sodome et Gomorrhe.
    Il l’observa avec un petit sourire figé sur ses lèvres énormes.
    — Oui… c’est cela même, et de tenter de pervertir certaines de leurs pensionnaires. L’évêque de l’époque a envoyé un enquêteur, un jeune séminariste et non un jeune abbé, comme vous me l’avez écrit, un jeune homme brillant à n’en pas douter et dont il avait entièrement confiance. Il était chargé en apparence d’enseigner aux demoiselles l’histoire religieuse, en vérité de vérifier de l’intérieur le bien-fondé des accusations et de suggérer, le cas échéant, les sanctions à appliquer.
    — Et le couvent a été fermé.
    — Ce n’est pas si simple.
    Le chanoine frotta longuement ses mains sur le papier de verre de ses joues.
    — Le dossier est peut-être incomplet. Des pièces font défaut. On ne comprend pas bien. J’ai là deux documents qui paraissent contradictoires : le rapport du jeune séminariste qui fait part de quelques réserves mais disculpe pour l’essentiel les religieuses, et cette lettre par laquelle l’évêque décide de renvoyer les pensionnaires et de fermer le couvent. Et ce n’est pas tout…
    Il chercha dans les pièces, se saisit d’une

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