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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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feuille, l’approcha des verres concaves de ses besicles comme s’il voulait s’assurer de la qualité du papier.
    — Ce n’est là qu’une lettre adressée par l’évêque au responsable du séminaire. Le jeune homme n’y est pas retourné. Il a quitté l’Église. Et l’évêque s’en félicite. Il a dû commettre un crime bien terrible pour mériter cette disgrâce.
    — Un crime qui aurait pu le faire condamner par la justice du roi ?
    Le chanoine passa plusieurs fois le revers de sa main sur ses lèvres épaisses. Ses yeux fixaient la jeune femme et l’on eût dit un caméléon hésitant à lancer sa langue devant un insecte nouveau et un peu surprenant.
    — Ce n’est pas exclu, bien sûr. Mais rien dans mon dossier ne…
    — Son nom ! dit-elle les yeux brillants. Le nom de ce jeune séminariste ?
    — Gallion, je crois. Jean Gallion.
    — Avez-vous une adresse ?
    — Non, mon enfant. Mais un document fait allusion à sa paroisse d’origine, un village non loin d’ici, Saint-Rémy.

CHAPITRE VII
    1.
    On les réveilla brutalement avec le soleil. Les guichetiers passaient dans les rangs, hurlant, distribuant au hasard les coups de trique. Par réflexe, Guillaume tenta de se mettre debout et la chaîne le projeta violemment vers le sol. Lapardula s’étirait et faisait rouler ses muscles. Un faible jour éclairait le cachot dont le grain des murs scintillait. Des silhouettes cassées se levaient autour d’eux, un monde de misère, de cadavres. Des visages terribles émergeaient de l’ombre, déformés par la gale dont on voyait courir les grosses pustules sur les joues et le front. Chez certains, l’infection avait même atteint l’oeil qui, crevé, n’en finissait pas de suppurer. Les autres ne valaient pas mieux. La fièvre des prisons, conjonction de typhoïde et de scorbut, donnait aux figures un teint livide et constellait les peaux, sèches et brûlantes, de taches pourpres, humectées d’une sueur fétide. C’était à n’en pas douter l’antichambre de l’enfer. Guillaume remercia le ciel de ce qu’il n’aurait pas à moisir ici. Le départ de la chaîne était imminent.
    Des soeurs grises de la Charité, filles de Saint-Vincent-de-Paul, leur distribuèrent à chacun un bol de bouillon, une livre et demie de pain et un plat de fèves.
    — Mange tout, lui glissa Lapardula. Tu n’auras rien d’autre avant ce soir et tu en auras besoin, crois-moi !
    Des argousins les fouillèrent puis leur distribuèrent leur paquetage : un bonnet rouge, une paire de souliers, des guêtres et des bas, un haut-de-chausses, un treillis, une chemise et, pour les repas, une gamelle, une gourde et une cuillère.
    Vers les neuf heures, on les fit sortir dans la cour de la prison. Le ciel avait une couleur de pinceau sale, avec une luminosité qui faisait mal aux yeux. Des officiers de marine, des gabelous, des archers de la maréchaussée, quelques prêtres en soutane, garnissaient, par petits groupes, l’immense espace. Des enclumes attendaient sur le pavé à côté de quantité d’outils. On les enchaîna par le cou, deux à deux, avec une grosse chaîne de trois pieds de largeur, au milieu de laquelle trônait un anneau rond. Une consigne avait dû circuler car personne ne songea à dissocier Guillaume et Lapardula. Guillaume s’avança du pas de celui qu’on conduit au bourreau. De lui-même, il posa sa tête sur l’enclume et le rivetage s’effectua à froid, à grands coups de masse.
    — Jamais je ne pourrai marcher avec ça ! dit Guillaume.
    — De Paris à Marseille, tu auras le temps de t’habituer, ricana Lapardula.
    Ils restèrent ainsi de longues heures, assis sur le pavé, jusqu’à ce que, vers le midi, le substitut du procureur, les conseillers du parlement et un homme en civil les accompagnant, consentissent à s’occuper d’eux. Un à un, ils furent appelés par leur nom et il leur fut donné lecture de leur précis de condamnation. Beaucoup étaient des déserteurs qui avaient voulu échapper au rétablissement de la milice, d’autres des huguenots défiant la révocation de l’édit de Nantes, d’autres des contrebandiers, d’autres encore des droits-communs. Lapardula avait été officiellement condamné pour faux saunage.
    — Guillaume Lautaret…
    La particule avait été tronquée et c’était aussi bien.
    — … meurtre d’un gabelou. Galères à perpétuité. Un murmure salua cette annonce.
    — Voilà qui va te rendre populaire,

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