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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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rideau rouge venait de tomber. Quand elle les releva, ses pupilles étaient pleines de larmes.
    — Notre cloître avait plus d’entrées et de sorties secrètes qu’un palais vénitien. Nous y chantions et y dansions à notre guise. Nous étions des moniales coquettes, en jupe de taffetas, rochets et falbalas, qui rivalisaient entre elles de bijoux quand ce n’étaient pas, pour certaines, de galants. Et puis, ce jeune abbé est venu, envoyé par l’évêque d’Auxerre, pétri des idées de François de Sales et de Vincent de Paul. Un homme parmi nous, pensez donc ! Il était beau comme un dieu, armé d’une éloquence rare, prêt à livrer combat contre chacun des démons qui nous séduisaient. Nous nous sommes, mes compagnes et moi – Anne, Ninon et Marie-Joséphine peut-être davantage encore –, vite embrasées pour la réforme que nous prônait le jeune abbé. Nous l’avons éperdument suivi sur le chemin qui nous ramenait à l’obédience et aux voeux tant négligés. Il nous dressait à la vie parfaite. Ses paroles étaient un fleuve d’eau vive nettoyant les écuries d’Augias.
    Elles n’étaient plus très loin du banc de tout à l’heure. Mme des Espains voulut de nouveau s’y reposer. Elles s’assirent l’une à côté de l’autre. Le jeune homme à tête de crapaud attendait maintenant au bout de l’allée et restait immobile sous le vent.
    — Et puis ?
    — Je ne sais. La foudre nous est tombée dessus et nous n’avons rien vu venir. Le couvent a été fermé. Nous avons été dispersées. Je n’ai plus jamais revu l’abbé.
    Elle soupira. Elle remit lentement ses gants, puis, avec ses index, elle se massa légèrement les tempes. Ses yeux se plissèrent de malice.
    — Nous sommes retournées les unes et les autres sur nos chemins de perdition.
    Delphine sourit à son tour.
    — Sans vouloir vous offenser, madame, vous ne me paraissez pas si démoniaque.
    Mme des Espains émit un petit rire. Ses yeux avaient maintenant une étrange lueur, comme si le rubis des paupières finissait par déteindre sur eux.
    — Ma pauvre enfant, Satan a tant de tours dans son sac !
    — Une dernière question : Mme de Saintonges avait porté votre nom en marge d’un passage de la Bible…
    — La malédiction de la femme de Lot ? Ce sont les mots qu’elle a prononcés quand je l’ai avertie de ce qui était arrivé aux autres. Une allusion au sel ? Je ne peux vous en dire plus.
    — Et le nom de cet abbé, vous en souvenez-vous ?
    — Hélas, mon enfant. Cela fait si longtemps…
    Elle se tourna davantage vers Delphine et lui prit la main.
    — Je sais des choses, je vous l’ai dit et j’en devine d’autres. Votre coeur bat, n’est-ce pas, pour ce beau procureur avec qui j’ai conversé dans la chapelle ?
    Delphine hésita.
    — Oui… Oui, madame.
    — Il vous aime aussi, c’est une évidence. Mais il s’éloigne. C’est cela ?
    C’étaient les mêmes paroles que celles de la sage-dame. Est-ce que cela se lisait dans ses yeux ? Cette fois encore, Delphine retira brutalement sa main et se leva. Allait-elle, elle aussi, lui parler des tempêtes de sel contre lesquelles Guillaume se battait ? Les oiseaux tournaient maintenant dans le ciel presque à la verticale de l’allée en poussant des cris stridents.
    — Je vous remercie, madame. Et que Dieu vous protège…
    Elle s’enfuit presque en courant, bousculant le jeune homme, dépassant sans un regard les deux servantes jumelles, les coqs à crête rouge, les paons et les statues impassibles des nymphes et des satyres.

    3.
    L’eau noire luisait sous les reflets de la lune et venait battre les pierres des quais et l’arche des ponts. Les gabelous qui entouraient Guillaume l’emmenèrent jusqu’à la barge amarrée devant le grenier à sel. Ils avaient des visages figés, des faces sculptées dans un métal froid. Leurs gestes étaient dépourvus de tout respect, de toute humanité. Ils le poussaient devant eux sans ménagement. À leurs yeux, il était déjà un galérien.
    — Tu as de la chance, lui dit l’un deux. D’habitude le trajet jusqu’à Paris se fait à pied.
    Ils l’obligèrent à s’asseoir à côté d’un brun aux épaules carrées caché dans l’ombre auquel ils l’enchaînèrent.
    — Lapardula ! dit l’homme avec un léger accent et en lui tendant la main.
    C’était une main épaisse et rugueuse, une main faite pour étrangler ou donner des coups de poing. Lapardula

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