Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
Vom Netzwerk:
son pas, le regard fixé sur la ligne rousse et cendrée de l’horizon, dure, hautaine, taillée comme un chemin dans la pierraille.
    Le règlement royal imposait des parcours de quatre lieues les trois premiers jours et trois les suivants. Le voyage, à ce rythme, durait entre trois semaines et un mois. Mais Langlade paraissait très inquiet de la rentabilité de son expédition. Dès le premier jour, il prit la décision d’allonger les étapes d’une lieue et de réduire les rations alimentaires.
    — Nous n’avons pas de chance, maugréa Lapardula. Langlade a rogné sur les frais. Il espère sans doute pallier le manque d’hommes en faisant régner la terreur. Il n’y a qu’à voir la face des brutes qu’il a recrutées. Les coups vont pleuvoir.
    Comme pour lui donner raison, l’un des gardes, qui l’avait vu parler, s’approcha l’air mauvais en levant son gourdin.
    — Laisse-le, dit Langlade, je m’en occupe.
    Le capitaine obligea son cheval à marcher au pas juste au niveau de Lapardula. Il se pencha légèrement et leur glissa en chuchotant :
    — On m’a promis une belle récompense, messieurs, si vous parveniez tous deux en bonne santé à Marseille. Une somme suffisante pour que je prenne soin de vous. Mais ne provoquez pas mes hommes sinon je ne réponds de rien.
    Ils marchèrent jusqu’au soir. La lueur du crépuscule qui, des collines voisines, glissait à ras de terre comme une eau qui s’évapore, faisait luire les chaînes et les armes des argousins. Des spirales de fumée montaient des habitations, reflets bleuâtres dans le ciel gris, et rappelaient qu’une autre existence était possible, sous un toit et devant l’âtre. Guillaume s’efforçait de mettre ces heures à profit pour tenter de raisonner. À Marseille, il lui faudrait débusquer le plus vite possible l’organisation qui commandait aux réseaux de faux sauniers. Qui disait organisation disait des hommes et de l’argent. Les hommes se recrutaient parmi les galériens en fonction de critères qu’il faudrait découvrir. Mais l’argent ? Comment des condamnés prisonniers de leurs fers, privés de tout bien et de toute liberté, pouvaient-ils se procurer les finances nécessaires ?
    Le jeune Jeremy tentait de soutenir le nommé Balthasar qui ne cessait de gémir et de trébucher.
    — Il n’en peut plus ! cria Jeremy.
    — La halte est prévue d’en moins d’une demi-lieue, dit Langlade. Il doit tenir jusque-là.
    Il cracha par terre et se porta de nouveau à la hauteur de Lapardula et Guillaume.
    — J’en ai plus d’une dizaine qui ne valent pas mieux. Ces bougres-là ralentissent la marche et, de toute façon, n’atteindront jamais Marseille.
    Les tenanciers des relais de poste avaient obligation de prêter leur écurie à la chaîne pour passer la nuit. Mais moyennant quelques pièces glissées au capitaine, ils étaient dispensés de changer la litière comme le leur imposait le règlement. Ce fut ainsi que Guillaume et ses compagnons s’arrêtèrent dans une immense grange qui sentait la bouse et la paille moisie.
    Pour se coucher, il fallait que la chaîne le fît dans un même moment. Au repos, le moindre mouvement que l’on se donnait réveillait nécessairement l’autre attaché à soi, par la douleur que lui causait la chaîne qui aboutissait à la sienne et qui produisait une veille forcée. Lapardula avait de l’expérience et il s’arrangea pour réserver à Guillaume et à lui-même un endroit où la paille était en abondance. On leur distribua un peu à manger et à boire. Guillaume but à grandes gorgées une eau tiède à laquelle l’outre avait donné un goût de bouc.
    À la violente odeur de crottin et de graisse rance s’échappant des guenilles remuées, se mêlait le pestilentiel bouquet de la sueur des hommes. Les jambes, à chaque mouvement, frappaient les rotules voisines. Par les portes entrebâillées de la grange, la nuit jetait une lumière blafarde sur cette masse humaine informe d’où émergeaient, de-ci, de-là, des crânes sans cheveux, des dos courbés et bossus, des bras osseux au bout desquels les mains semblaient des bêtes pleines de pattes. Chacun se plaignait d’un mal, d’une blessure faite par les chaînes, de pieds abîmés par la marche. Rembard, à côté de Guillaume, avait remonté sa chemise et, sans ouvrir les yeux, il grattait son ventre sucé par la vermine.
    — Écoutez, mes frères, la prophétie d’Ézéchiel, disait le vieux

Weitere Kostenlose Bücher