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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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Balthasar. Nous sommes dans l’immense vallée noire, couverte d’ossements. Nous sommes les squelettes de Dieu et nous attendons la Résurrection ! Bientôt, mes frères, nous secouerons notre gelée blanche ! Nous retrouverons notre moelle ! Nous nous recouvrirons de chair chaude et de peau en entendant la voix des anges du Seigneur.
    Vers deux heures du matin, les portes de la grange s’ouvrirent en grand. Les anges qui s’y engouffrèrent n’avaient pas d’ailes mais des gourdins, des nerfs de boeuf, des fouets qu’ils firent claquer au-dessus des têtes.
    — Tout le monde dehors ! hurla le capitaine.
    — Il a vite fait son calcul, le salaud, grogna Lapardula.
    Mais il ne put en dire plus car les gardes de la chaîne, excités par Langlade, forçaient les galériens à se lever et à sortir dans la nuit glacée. Un vent froid tombé des montagnes froissait le ciel et la plaine immobile. Les coups volaient bas et Guillaume comprit lui aussi le but de la manoeuvre : le capitaine avait décidé de se débarrasser au plus vite de tous ceux qui, de toute façon, crèveraient avant la fin et qui, en attendant, allaient ralentir la marche et compromettre le bénéfice en occasionnant des dépenses non remboursables.
    Après un matraquage en règle, les forçats, un par un, furent dénudés et exposés au froid dans la cour du relais de poste. Le ciel était très beau, d’un noir de glace, avec un croissant de lune que de lourds nuages semblaient chaque fois frotter pour le rendre encore plus brillant. Les corps tremblaient, fumaient d’une buée légère, s’entrechoquaient dans des craquements d’os. Seuls les yeux des hommes, phosphorescents de peur, recroquevillés au fin fond des orbites, brillaient d’une lumière pâle.
    Langlade, bien couvert, regardait tous ces hommes nus grelottant dans la nuit. Ni le commissaire ni le chirurgien de la chaîne n’avaient daigné se lever et assister à cette cérémonie. Sans doute seraient-ils intéressés aux bénéfices. Les forçats restèrent ainsi plusieurs heures. Le malheureux qui s’affaissait était aussitôt frappé au nerf de boeuf. Enfin, on les fit se rhabiller et rentrer dans la grange. Plusieurs étaient restés sur le carreau, dont Balthasar.
    Cette fois, on tarda à retrouver le sommeil. Les hommes gémissaient, claquant de frissons sous leurs loques. Le jeune Jeremy pleurait à sanglots étouffés. Au matin, quand on fit ressortir la chaîne pour reprendre la marche, on compta cinq nouveaux cadavres sur lesquels déjà s’étaient abattues les mouches.
    « Je n’y arriverai jamais », pensa Guillaume.

    4.
    Jeannette faisait le lit, tapait du plat de la main les oreillers. Une odeur de poussière et de vieux livres flottait dans la pièce tout entière. Delphine alla jusqu’à la cuvette et la cruche posées sur le guéridon, versa un peu d’eau, se tapota les joues. Une crampe la serrait au ventre. On était le 2 février, le deuxième jour du mois, le plus favorable à la procréation, et Guillaume n’était pas là. Pourquoi n’avait-elle pas de nouvelles ? Elle revint vers le bureau. Les grands cahiers à marge rouge l’y attendaient. Sur le haut de la feuille ouverte devant elle, elle avait inscrit les noms de Mme des Espains et de Jean Gallion. Elle essaya de reprendre la plume, mais le coeur n’y était pas.
    Elle alla jusqu’à la fenêtre. C’était un paysage d’ardoise et de glaise, avec de grandes perspectives qui fuyaient vers un horizon que des forêts mouillées coiffaient d’arbres sans feuilles. Il avait plu toute la nuit et dans l’eau de l’étang, dans l’eau des flaques, dans l’eau triste du ciel, de grands effets d’argent flottaient traversés de nuages en lambeaux. Des gens aux silhouettes de charbon s’affairaient dans les champs, sur les chemins. Des troupeaux de boeufs revenant du labour tremblaient sur des ponts chancelants.
    Et puis soudain des taches écarlates, comme des gouttes de sang, éclaboussèrent la gauche du paysage. C’étaient les capes rouges d’hommes à cheval, encadrant un carrosse dont le doré tourné vers le soleil pâle qui perçait les nuées clignotait au gré des lacets de la route. L’équipage obliqua pour s’engouffrer dans la longue allée du château de Mme de Beaumont.
    « Mon Dieu ! pensa-t-elle, il est arrivé quelque chose à Guillaume. »
    Elle se réfugia à l’autre bout de la pièce, appuyée à un fauteuil de velours, avec les tempes qui

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