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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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l’essentiel, avaient été pillés. Même les pierres avaient servi, au fil des ans, à consolider les ponts et à bâtir des murs sur la commune. Mais Delphine insista et il finit par lui indiquer le chemin : ce qui restait de la ferme était derrière le moulin. Le seul des environs, elle ne pouvait pas se tromper.
    Elle n’avait eu qu’à suivre, sur la route royale, les charrettes chargées de sacs de blé, tirées par des mulets trapus, conduites par des hommes aux faces labourées qui ôtaient leur chapeau quand elle les dépassait mais posaient sur elle des regards aiguisés et froids comme des silex.
    L’ancienne ferme des Gallion était derrière les grandes roues à aubes du moulin. De ce qui avait été sans doute le bâtiment principal, il ne restait que quelques murs, l’arche d’une porte. Il fallait traverser une sorte de cour dont les dalles crevaient sous l’herbe et les racines pour atteindre une autre partie plus petite mais encore bâtie, comportant une grange où fumait, en buée grasse, un fumier noir, et une petite écurie par-dessus la porte de laquelle elle aperçut un cheval maigre qui mangeait dans un râtelier de bois.
    Une petite fille sale, pieds nus, les genoux écorchés, coupait le lien d’une botte de foin et répandait l’herbe sèche dessous le nez de la bête. Elle l’interpella.
    — L’Ambroise ? Il est à la colline. Je vais te montrer.
    La fillette prit Delphine par la main et la conduisit de l’autre côté de l’écurie. Des sentiers pierreux montaient et descendaient à travers des rochers blanchâtres couverts de thym, de térébinthes, de genévriers. La pluie avait cessé et des odeurs puissantes s’enroulaient dans leurs jambes.
    « L’Ambroise », torse nu, piochait un champ plein de cailloux. Delphine eut un mouvement de recul en apercevant son dos bossu où poussaient des vertèbres si pointues qu’on eût dit une crête d’écailles.
    Il se retourna brusquement à leur approche. Il avait le crâne chauve, mouillé, de petits yeux rouges, une longue cicatrice sur le menton.
    — Le Jean ? répéta-t-il en posant son outil par terre. Ça fait longtemps que je n’ai pas eu de ses nouvelles. Que lui voulez-vous ?
    — Je voudrais savoir ce qu’il s’est passé au séminaire. C’est important pour moi.
    L’homme l’observa de haut en bas et cracha par terre.
    — C’est une vieille histoire. Il ne faut pas déterrer les vieilles histoires.
    — S’il vous plaît. C’est l’évêché qui m’a envoyée vers vous.
    — Allez, l’Ambroise ! dit la petite fille en serrant très fort la main de Delphine. Pour faire plaisir à la jolie dame.
    L’Ambroise se passa la main sur le visage comme s’il voulait essuyer quelque chose. Ses yeux sautaient de droite à gauche. Il devait réfléchir. Le soleil perçait maintenant les nuages et la terre alentour, gorgée de pluie, commençait à fumer.
    — Il a été renvoyé du séminaire.
    — Je sais, mais j’en ignore la cause.
    — La cause, ce sont les demoiselles. Voilà ce qu’il m’a dit. Des demoiselles qui l’ont dénoncé à l’évêque.
    — Dénoncé à propos de quoi ?
    — Je ne sais pas. Mais le Jean, c’était un gars curieux. Toujours un livre à la main. Il avait eu des histoires avec les filles du pays. Malgré le séminaire, il courait, comme on dit ici.
    — Depuis quand ne l’avez-vous plus revu ?
    — Vingt ans. Il m’a écrit une lettre à la mort de ses parents pour me dire qu’il me donnait toute la ferme.
    — Et cette lettre, elle venait d’où ?
    L’Ambroise se gratta le torse, puis l’épaule, se voûta davantage. Le soleil projetait son ombre derrière lui, accentuant l’arête de ses vertèbres et l’on eût dit une tarasque monstrueuse, un dragon percé par la lance d’un archange et se tordant de douleur sur le sol.
    — Des galères, finit-il par dire. De l’arsenal des galères à Marseille.
    C’était lui, elle ne pouvait plus en douter.

    3.
    Les hommes, enveloppés de brume et de sueur, couverts d’écume, portaient leurs chaînes harassantes à travers les mauvais chemins. Il avait commencé à pleuvoir dès la sortie des faubourgs. La campagne mouillée fumait doucement. Ils marchaient sur un sol fangeux que leurs talons alourdis par les fers constellaient de trous. C’était une danse étrange, une danse de boue, les pieds s’arrachant durement de la terre. Guillaume s’efforçait de ne penser à rien, concentré sur

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