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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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baraques sur le quai, à bord des navires marchands, occupés derrière les comptoirs et dans les échoppes, entrant sous les porches, sortant des passages couverts, comme un flot de sang circulant dans les artères de la ville et obéissant aux poussées d’un coeur mystérieux dissimulé quelque part dans les bas-fonds de Marseille.
    On les obligea à bifurquer à la gauche du port. Le vieil arsenal se dressait devant eux avec ses allures de palais classique, ses lignes sobres et denses, le gris vert des ardoises coiffant les pavillons d’angle et le rouge délavé de la toiture des ailes. Ils s’engouffrèrent sous la monumentale porte du Grand Pavillon, la principale entrée, gros donjon carré, orné de pilastres, surmonté d’un ovale de pierre abritant l’horloge.
    À leur entrée, des cloches retentirent et des ordres furent jetés aux quatre coins des bâtiments. Toute une armée de fonctionnaires sortait de sous les arcades pour les accueillir. Mais eux n’avaient d’yeux que pour ce qu’ils voyaient au-delà, pour ce décor qui serait désormais leur univers. Ils n’en apercevaient que des bribes : l’arc de cercle de la porte Marine, fermée de grilles, d’où s’échappaient les galères construites dans les bassins, les ateliers et les magasins, les forges, l’étuve, les cours et les places où séchaient les bois de mâture et où s’assemblaient les pièces des navires.
    Guillaume embrassa tout cela d’un regard. Un vent léger fouettait la mer et envoyait valdinguer jusqu’à lui des bouffées pleines de sel. Dans le ciel, des gabians, pareils à celui qui couronnait le cadavre de Mme de Saintonges, montaient et descendaient en poussant des cris stridents. Sous ce soleil et devant cette mer, derrière ces murs dressés, à l’abri de cet arsenal offert à la magnificence de Louis le Quatorzième, dans ce monde de larmes et de misère, un assassin se cachait, appuyé sur un réseau de faux sauniers qui fraudaient la gabelle et déstabilisaient les finances du royaume. Et il lui appartenait à lui, Guillaume de Lautaret, de le débusquer et de le châtier.

    2.
    Le carrosse de Delphine, de Mme d’Orbelet et des deux femmes de chambre qui les accompagnaient grinça, s’arracha de l’ornière dans laquelle il s’était embourbé, roula enfin dans un furieux tangage et amorça lentement la dernière descente. Les quatre cavaliers à cape rouge qui les escortaient reprirent leur place de part et d’autre de la voiture. Ils étaient au sommet que l’on nomme la Viste, « la vue », à portée de regard de la ville.
    Des bosquets de pins vert-de-gris rompaient comme des coups de cymbale la blondeur surchauffée des collines. Des coulées de vignes et de vergers, de maigres jardins, des terrasses où poussait l’olivier, glissaient doucement vers la mer. Quelques bastides et des moulins à vent s’accrochaient dans la pierre. Plus bas, la ville somnolait, protégée à l’ouest par ses murailles, ouverte à l’est comme une châtaigne éclatée, écrasée partout sous un ciel immense, d’un bleu froid, uniforme et vertigineux, à peine rayé, çà et là, par le blanc de longues griffures à la craie, et qui semblait ne céder à regret un peu de sa puissance que devant le bleu plus soutenu de la mer, un bleu grondant d’énergie contenue, frappant inlassablement les rivages de la cité et lui donnant comme un arrière-fond de joie et de violence.
    — Marseille, enfin ! dit Delphine en se penchant à la portière. Ma mère, regardez comme c’est beau !
    Mais Mme d’Orbelet ne répondit pas. Elle se contenta de tapoter la main de sa fille. Elle n’avait pas hésité une seconde à l’accompagner. À la grande surprise de la jeune femme, elle ne l’avait pas dissuadée de ce voyage et l’avait même à demi-mot encouragée. Quand Delphine lui avait fait part de son intention, elle avait gravement hoché la tête et elle s’était contentée de dire :
    — Marseille est moins loin que le Mississippi. Celui-là, nous le rattraperons.
    — Voilà donc, dit Delphine, la fière cité qui a donné tant de soucis à Sa Majesté.
    Pour tuer le temps pendant le long trajet qui les avait menées à travers la France, elles s’étaient fait mutuellement la lecture. Elles avaient emprunté quantité de livres et, de l’histoire récente de Marseille, Delphine n’ignorait plus rien. La plus vieille cité de France avait toujours porté ses regards vers le large et tourné le

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