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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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dos au royaume. Insolente envers le roi, attachée à conserver ses privilèges de cité indépendante, elle avait été, trente ans plus tôt, dûment châtiée. Louis XIV l’avait désarmée ; il avait ouvert une brèche dans les remparts de la ville, y était entré en maître absolu et, rayant tous les droits antérieurs, il avait ramené dans le rang la rebelle. Les consuls avaient été remplacés par des échevins dépouillés des principaux privilèges consulaires et l’échevinage interdit à la noblesse provençale. Mais sur le terreau de cette humiliante défaite, la cité avait su prospérer. L’industrie locale était repartie. Marseille, guidée par la première chambre de commerce du royaume, avait de nouveau porté ses regards vers le large. Sur toute la Méditerranée, elle ouvrait des comptoirs et n’avait jamais été si vigoureuse.
    — Voyez, ma mère, dit encore Delphine en découvrant les perspectives vertigineuses qui s’ouvraient sur les collines et la mer, n’est-ce pas là-bas l’ancienne muraille ?
    Elle s’émerveilla de débusquer les postures conservées de la vieille ville gréco-romaine qu’en 49 avant Jésus-Christ César n’avait vaincue qu’après six mois de siège et qui s’opposait, dans un contraste saisissant, à la ville nouvelle, qui, repoussant ses frontières traditionnelles, à l’est vers le versant de la colline Saint-Charles, au sud jusqu’à l’abbaye Saint-Victor, la faisait enfin sortir de la rive nord du Lacydon.
    — Et là, dit-elle enfin au détour d’un virage, ne sont-ce pas les bâtiments de l’arsenal et les galères ? Elle se tut soudain et se rassit sur son siège.
    — Eh bien, qu’avez-vous, ma fille ?
    Delphine ne répondit pas. Elle mangeait sa lèvre inférieure. Elle avait eu longuement le temps de méditer sur tout ce qui leur était arrivé depuis ce matin où Guillaume s’en était allé avec le carrosse de Mme de Saintonges. Sans doute avait-il été emporté par son désir de vérité, par sa mauvaise conscience mais l’on ne glisse que si l’on n’a rien à quoi se raccrocher. Et cette idée de la confier à M. de Montmor, elle ne savait pas trop quoi en penser.
    — Il est vrai, ajouta Mme d’Orbelet, que nous serons ici un peu perdues, toutes livrées à cet intendant général.
    M. de Montmor avait bien fait les choses. Il s’était occupé lui-même de leur trajet et de leur hébergement. Il avait mis à leur disposition une escorte de quatre cavaliers. Et à chaque relais de poste, un messager partait pour l’avertir du bon déroulement de leur avancée. Le dernier avait quitté Aix-en-Provence la veille pour prévenir de leur arrivée imminente. C’était là qu’elles s’étaient reposées afin de ne pas faire trop mauvaise figure.
    — Mais ne vous inquiétez pas au-delà du nécessaire, ma fille, ajouta Mme d’Orbelet. Si besoin est, nous trouverons soutien et réconfort auprès d’une de mes anciennes condisciples de Port-Royal, Louise Fabre-Boyer. Je lui ai écrit à ce sujet.
    La jeune fille lui adressa un demi-sourire. Elle tournait de nouveau son regard au-delà de la portière, se concentrant sur les silhouettes des moulins dont les roues brassaient, sur les hauteurs, l’air du large et l’éblouissement du soleil.
    — Vous avez peur pour Guillaume ?
    Elle sourit tristement. Elle n’osait pas avouer qu’avant tout c’était d’elle dont elle avait peur.

    3.
    Dans la cour, Guillaume et ses compagnons d’infortune furent pris en charge par l’administration des galères. Le capitaine vint officiellement remettre ses documents au commissaire et au contrôleur général qui les transmirent à l’écrivain du « 5 e  bureau de la chiourme ». Celui-ci, aidé par deux commis et deux copistes, fit l’appel un à un des condamnés qui défilèrent devant lui, pointant les survivants sur le rôle apporté par le capitaine. Il y avait quinze manquants et quarante malades graves qui furent aussitôt envoyés à l’hôpital. Le commissaire passa l’escorte en revue et prit connaissance des rapports du chirurgien et du commissaire de la chaîne. Il s’entretint au hasard avec quelques-uns, leur demandant s’ils ne se plaignaient point de quelque mauvais traitement. Le jeune Jeremy faillit prendre la parole mais le regard des autres l’en dissuada. Il ne servait à rien maintenant de se faire remarquer. Lorsque l’écrivain eut fini de dresser le récapitulatif en trois exemplaires

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