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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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signés par le commissaire et le contrôleur général, le capitaine Langlade alla se faire payer. En passant à côté de Guillaume et de Lapardula, il leur glissa :
    — Méfiez-vous, vous êtes attendus. Que le diable vous emporte en enfer !
    Le jeune procureur avait retrouvé de la force. Tous ses sens étaient en alerte, concentrés sur ce qu’il voyait et entendait, à la recherche du moindre élément qui pourrait le renseigner sur les deux objectifs qu’il s’était à court terme assignés : découvrir comment le réseau de faux sauniers recrutait ses hommes, et comment il se procurait l’argent pour financer ses expéditions.
    L’écrivain de la chiourme, un certain Thomazeau, le nez fort, les yeux à fleur de tête, les fit défiler devant lui en leur demandant de décliner leur âge, les nom et prénoms de leurs père et mère, ceux de leur femme, leur lieu de naissance, leur état, leurs qualité et titre et, pour les militaires, leur grade et leur régiment. Les scribes couchaient sur les registres quantité d’informations. Guillaume fut qualifié de « grand », « yeux bleus », « cheveux roux », « visage féminin ». Les prisonniers étaient inscrits selon leur ordre d’arrivée qui déterminait leur numéro matricule. Guillaume eut le numéro 21566. D’autres registres et répertoires étaient confectionnés, l’un par ordre alphabétique des noms ou des surnoms, l’autre par capacité et aptitude au travail de la rame, un autre par galère d’affectation, un autre encore par type de délits et de condamnations. Guillaume releva que nombreux étaient les prisonniers pour lesquels des apostilles avaient été portées en marge. Les récidivistes, les protestants et plus généralement tous les hommes « recommandés » étaient distingués par des documents spéciaux et des mentions en face de leur nom. Il lut le mot « Juif » à deux reprises dans la colonne. Thomazeau l’inscrivit à la fois sur celui des « faux sauniers » et sur celui, plus petit, des criminels.
    — Voilà une bonne recrue ! dit-il en ricanant.
    Tout cela prit longtemps. Beaucoup parmi les hommes ne parlaient que la langue de leur pais et, malgré les précautions prises, les interprètes – des bagnards réquisitionnés – ne parvenaient pas toujours à traduire. D’autres ignoraient le nom de leur paroisse d’origine, leur âge, voire pour certains leur nom de baptême, ne se rappelant que le surnom par lequel ils étaient depuis longtemps désignés.
    Les capitaines des galères étaient là au grand complet, attentifs à repérer les meilleurs sujets pour leurs unités. Ils passaient dans les rangs, avec un oeil de négrier, n’hésitant pas à tâter les muscles ou à regarder les dents pour s’assurer de la bonne santé. Le partage des nouveaux forçats s’effectuait en principe au tirage au sort mais il occasionnait d’âpres jalousies entre les maîtres d’équipage qui guignaient les meilleurs hommes et s’accusaient mutuellement d’avoir forcé le sort. Guillaume en surprit un qui glissait quelques pièces à l’écrivain du bureau des chiourmes en pointant quelques noms sur le registre. Le dénommé Thomazeau opina du bonnet et mit l’argent dans sa poche.
    Ils furent répartis en trois classes, selon leur âge, leur taille et leur force apparente. Guillaume fut affecté dans la première, en compagnie de Rembard, celle des hommes de moins de trente-cinq ans, de taille et de santé suffisantes. Lapardula malgré sa force fut rangé dans la seconde classe compte tenu de ses quarante ans bien sonnés. Autour de Guillaume, certains hommes se désolaient : « On est bons pour le vogue-avant ou au mieux pour l’apostis ! » Dans les derniers soirs du voyage, ça avait été le principal sujet de conversation. Ceux qui étaient déjà passés par là avaient raconté aux autres qu’on comptait cinq rameurs par banc sur une galère ordinaire et sept sur une réale ou une patrone. La fatigue de chaque homme dépendait de sa place par rapport à la rame. Celui qui empoignait l’extrémité de l’aviron produisait l’effort le plus rude : c’était le vogue-avant ; à son côté se tenait l’apostis, puis venaient le tiercerol, le quarterol et le quinterol, auxquels s’ajoutaient le sexterol et le septerol sur la réale ou la patrone.
    — Chacun sa stratégie, lui avait soufflé Lapardula. Plus tu es haut sur le banc, plus tu fatigues mais plus tu es respecté.

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