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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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lorsque le forçat regagna sa place que Lapardula lui glissa :
    — Ma mission est de t’amener vivant jusqu’à Marseille. Je ne peux prendre aucun risque.
    Ce qu’il fit ensuite, Guillaume ne le sut pas mais il le devina aisément. Au matin, Langlade prit ses dispositions. Il modifia la composition de la chaîne pour rompre les complicités naissantes. Il fit sortir plusieurs hommes du rang, dont Rembard et Guillaume, et il ordonna qu’on leur donnât la bastonnade. Tous reçurent vingt coups de nerf de boeuf. Rembard eut droit à un double tarif, si violemment assené qu’il fallut le jeter sur l’un des charrois en attendant qu’il retrouve ses esprits. Il n’y eut pas de tentative d’évasion.
    Le reste du trajet fut moins pénible parce que les capitaines avaient l’obligation d’embarquer les chaînes sur toutes les rivières navigables qui se trouveraient sur leur route à peine de cassation. Ils louèrent des barges et descendirent la Saône depuis Chalon jusqu’à Lyon et, de là, le Rhône jusqu’à Pont-Saint-Esprit.

CHAPITRE VIII
    1.
    La dernière étape était la plus courte. Le convoi de galériens couchait en vue de Marseille. La ville, retranchée de la Provence par une barrière de montagnes, de la Nerthe et de l’Étoile jusqu’au Garlaban, protégée par des arêtes dont la roche était à nu, ne se pouvait accéder, si l’on exceptait le sillon de l’Huveaune, que par des routes à pic, tressées de pentes terribles. Ils arrivèrent par celle d’Aix.
    Ils pénétrèrent au matin dans la cité phocéenne par la porte Royale, descendirent vers le port dans un grand remuement de chaînes. Le soleil tapait fort et la foule, accoutumée depuis longtemps au voisinage des forçats, les entourait avec une indifférence polie, teintée de plus de pitié qu’ils n’en avaient rencontré jusque-là. Les gamins sur le bas-côté, les femmes devant les étalages, les promeneurs et les travailleurs les regardaient sans animosité et leur souriaient même. Il montait des rues des odeurs de vase et de graisse, des relents d’ordure cuisant dans les caniveaux.
    Guillaume, harassé de fatigue, était pris de vertiges. Les couleurs, les bruits, l’agitation de la ville, l’enivraient. Il vit tourner le blanc du sol, le rouge de la brique, les jaunes topaze, le gris perle des façades, le carmin des visages, le violet pâle du ciel, le bleu de mercure de l’eau, toute une palette cuite et pétrie de vie, trempée d’air et de lumière, liant comme avec de l’huile grasse le paysage et les chairs humaines. Lapardula le prit par le bras.
    — Tu ne vas pas craquer maintenant, mon gars, dit-il. On est arrivés.
    Ils découvrirent le port. Leurs regards se portèrent d’un même mouvement vers les quarante galères qui mouillaient dans la rade. Elles étalaient leur splendeur baroque le long du quai de la vieille cité, de l’église des Augustins jusqu’à l’hôtel de ville. Leurs coques, noir et sang de boeuf, leurs poupes, surchargées de reliefs à l’or fin, leurs mâtures orgueilleuses et hautaines qui faisaient claquer dans le ciel la soie brodée de leurs bannières et de leurs pavillons se doublaient dans le miroir de l’eau et semblaient vouloir prendre possession de l’espace jusqu’au pied des forts Saint-Jean et Saint-Nicolas. Autour d’elles, pareilles à ces insectes qui taquinent les taureaux de combat, des barques tournaient sans cesse et faisaient la navette. Plus loin, mêlées au hasard des arrivées et des places vacantes, se coudoyaient des tartanes et leur voile latine, des chebecs, des goélettes, des flûtes, des pinques et des corvettes, des brigantins et des senaults à voiles carrées.
    Sur le quai, c’était une agitation de ruche, des milliers d’hommes remuant à pleins bras des ballots ficelés, roulant de grosses jarres d’huile et des tonneaux. La cohue des commissionnaires, des négociants, des courtiers, des peseurs de commerce courant à leurs affaires, s’ajoutait au cortège des portefaix qui, marchant deux à deux, balançaient au milieu de la foule leurs fardeaux suspendus à la barre. Et d’autres encore pesaient, mesuraient, estimaient, déchargeaient, hissaient, vendaient, achetaient.
    — Compte les bonnets rouges, lui glissa Lapardula. La chiourme est ici chez elle.
    Et c’était vrai que les galériens se mêlaient étroitement aux autres Marseillais. On voyait partout danser leurs chefs écarlates, sur les galères, entre les

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