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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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leva la jambe, pénétra dans l’eau chaude.
    « Je suis à Marseille, pensa-t-elle. Guillaume est là, quelque part, empêtré dans cette sale affaire, en danger peut-être. » Elle songea qu’elle devait le plus vite possible lui faire parvenir les dernières informations qu’elle détenait, lui conter par le menu les confidences de Mme des Espains, surtout lui donner ce nom, Jean Gallion, le nom peut-être du galérien qu’il recherchait. Tout pouvait, dans sa situation, être d’une importance extrême. Elle ferma les yeux à la recherche du visage de Guillaume, puis de son corps tout entier.
    M. de Montmor retint son souffle. De sa cachette, il avait tout embrassé, n’avait raté aucun instant de ce moment magique, de ce moment à nul autre pareil : elle, nue, si fragile, si vulnérable, à portée de ses mains, de sa bouche, ses seins gonflés comme des fruits, éclatant de nacre et de sang, l’éclat noyé de son ventre, ses cuisses d’une blancheur d’hostie, sa toison scintillant de rubis et d’opales.
    Il l’admira encore. La vapeur la couvrait d’une buée ambrée, d’un voile vaporeux qui l’estompait un peu. Elle flottait, toute rousse de lumière, avec ses lèvres boudeuses, sa bouche mouillée, ses paupières mi-closes, son pied nu éclaboussé de sang, sa croupe, cambrée, sculptée sans cesse par les reflets aiguisés de la flamme. Ses mains à peine effleurées par le feu, couchées près d’elle, posées sur les rebords, semblaient comme ces fauves qui gardent les rois nègres, faussement domestiques, toujours un peu sauvages.
    Delphine ouvrit puis referma les yeux. Elle sentait en elle son coeur tout jeune, vibrant, grisé, assoiffé d’elle ne savait quelle espérance. Dans le silence tremblant de son être, elle se voyait nager, non dans l’eau mais dans une grande lumière diffuse, indistincte et éblouissante, un tourbillon de sel mais un sel apaisant, un sel régénérant, où elle tournait, toute nue, sans défense, avide d’étreintes sauvages et de caresses dévoratrices. Guillaume montait vers elle, avec la même énergie, le même désir qu’elle.
    M. de Montmor ne respirait plus, hypnotisé par cette femme si belle qui s’abandonnait, ce corps noyé et fumant, tanguant et ruisselant, cette main rêveuse, immergée, émergée, luisante, lumineuse, occupée maintenant à de mystérieuses plongées, à de sous-marines besognes.

    3.
    La journée sur La Renommée s’ouvrit à l’aube par un coup de canon tiré de la réale et Guillaume et Lapardula furent aussitôt emportés par le mouvement. Dans un grand remuement de chaînes, la tente qui, pendant la nuit, couvrait la chiourme fut relevée et, à grands seaux d’eau, ce qu’on appelait la « bourrasque » commença. Guillaume et les nouveaux suivirent le mouvement des autres. Tout fut lavé, gratté, récuré, astiqué, l’ordure évacuée et le combat ouvert contre la puanteur, qui infectait les bois, et contre les légions de bestioles retranchées dans les coutures de la coque, la bourre des sièges, les replis des chemises et des hoquetons. Guillaume s’activait mais restait sur ses gardes. Dès que quelqu’un le touchait, il se dressait prêt à repousser la moindre attaque.
    — Dans la journée, on ne risque rien, lui dit Lapardula. Tout est sous le contrôle du comite. C’est le vrai chef de la galère et non le capitaine. C’est lui qui décide de tout ce qui concerne la chiourme. Il a un quasi-droit de mort sur nous.
    Il se tut parce que l’on distribuait le repas, un quignon de pain et une soupe liquide où trempaient quelques fèves. Les rations de chaque banc étaient posées au niveau du vogue-avant et il fallait aller vite si l’on ne voulait pas que d’autres mains s’en saisissent. Mustapha avait de quoi imposer le respect et, roulant des yeux terribles, il réussit à conserver leur part. Mais au lieu des cinq mains de pain réglementaires, il n’y en avait que quatre. Guillaume releva que rares étaient les bancs qui recevaient la part entière. Comme il s’en étonnait, des galériens lui expliquèrent que la cinquième main était prélevée par le comite pour la revente, qu’en échange il donnait de son vin et qu’il n’y avait rien à dire sinon à recevoir le fouet.
    — Et les autres, à côté du comite, demanda Guillaume, ce sont des officiers ?
    — De bas officiers : les sous-comites là, les argousins et les sous-argousins, là-bas. Et sous les ordres de tout

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