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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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montée des Accoules, à peine distinguait-on, dans le moutonnement des toitures, quelques alignements qui révélaient les sillons creusés par les rues principales, la Grand-Rue à mi-pente, la rue Coutellerie dans les quartiers bas, voisins du quai. Plus haut, des terrains clos de murs abritaient des maisons religieuses. Sur la crête, des moulins en file faisaient tourner leurs ailes. À la limite de la ville haute et de la ville basse, l’église des Accoules élevait sur la vieille tour Sauveterre sa flèche qui dominait l’ensemble, réglait la vie de la cité, sonnait le tocsin, la retraite, appelait les fidèles à l’office, le peuple à la défense, le corps de ville au Conseil. C’était à la vérité un étrange spectacle, une cité du Moyen Âge, enserrant dans son périmètre gréco-romain des maisons bâties sans le moindre alignement, des rues tortueuses, étroites, obscures et sales, coupées en leur milieu par des ruisseaux nauséabonds.
    — On nous interdit de sortir, monsieur. Vos soldats prétendent que la ville est dangereuse.
    M. de Montmor haussa les épaules.
    — Ce que vous appelez une ville, madame, n’est qu’un entrelacs de ruelles de casbah, une forteresse de Barbarie. Ce sont des boyaux étroits et puants, des dépotoirs, des cloaques et des égouts à ciel ouvert, avec leur caniveau central et leurs fameux barquious débordants d’ordures, où l’on ne peut circuler qu’à pied, sur un âne ou en chaise à porteurs. M. Colbert et M. Arnoul, si vous m’en croyez, ont plus fait pour Marseille que la longue procession à travers les siècles de ses échevins.
    Il décrivit à Delphine, dans ses grandes lignes, quel avait été le plan d’agrandissement de Louis XIV, décidé en 1666 et exécuté par l’intendant Arnoul. Le nouveau rempart, appuyé sur trois collines et deux forts, était modelé sur le dessin du port qui, de ce fait, ne se trouvait plus placé en bordure mais au coeur de la ville. Il englobait, à l’est, le versant de la colline Saint-Charles et du plan Saint-Michel, au centre, la dépression de la Canebière, au sud, la rive du port avec l’abbaye Saint-Victor et la partie basse de la colline de Notre-Dame-de-la-Garde. Il lui vanta la respiration de la ville, l’aération des nouvelles artères, la création d’un « cours » orné de fontaines et d’arbres magnifiques devenu la promenade préférée des Marseillais. Il lui expliqua enfin que l’édit de 1669, inspiré par Colbert, conférait à la ville de précieux privilèges : suppression de la plupart des taxes frappant à l’entrée bateaux et marchandises, libre entrée des navires étrangers, exemption surtout du droit de 20 % institué dans les autres ports du royaume, sauf Rouen, sur tous les produits arrivant en droiture d’Orient.
    — Et cela, demanda Delphine faussement naïve, est-ce le roi qui en a également fait don à la ville ?
    Cela, c’était le fort Saint-Jean, un ouvrage énorme, carré, puissant dont la plate-forme était couronnée de mâchicoulis et les murs épais percés de meurtrières. La tour Saint-Jean, doublée du minaret de la tour du fanal, se reflétait dans l’eau, y paraissait flotter, rose et immatérielle, et s’allongeait jusqu’à vouloir toucher, sur la rive opposée, l’autre fort qui lui faisait face, un fort à la Vauban, agrippé au rocher en étoile de mer. Les deux constructions dirigeaient vers la ville leur stature militaire et semblaient vouloir lui interdire la mer.
    M. de Montmor, avant que de répondre, prit plaisir à observer Delphine. Il tenta de nouveau de l’imaginer nue, comme il l’avait surprise la veille au soir. Elle avait replié son ombrelle et déambulait le long de la balustre. Le soleil éblouissait l’intendant et semblait vouloir lui confisquer l’image de la jeune femme.
    — Il est vrai, dit-il enfin, que ces constructions sont destinées tout à la fois à interdire l’entrée du port, à repousser tout débarquement dans la baie voisine du Lazaret et à maîtriser toute révolte de cette ville fantasque et trop longtemps rebelle.
    Elle fit quelques pas en arrière pour mieux embrasser le panorama du port et l’ombre l’enveloppa de la tête aux pieds, lui donnant des formes et des couleurs. Il l’aimait, c’était pour lui maintenant une évidence. Mais très vite, elle s’en revint sous la lumière et le soleil reprit possession d’elle. Elle n’était plus, de nouveau, qu’une silhouette

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