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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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l’oeil. Ses muscles roulaient sous sa peau tandis qu’il maniait la serpillière.
    — Es-tu fou ou inconscient ? Rien ne te rattache donc à la vie ? Si tu as été repéré, comme je le crains, tu es partout en danger de mort.

    4.
    — Tout un monde, madame, répétait M. de Montmor : douze mille forçats, quatre mille matelots et soldats, mille bas officiers, plus de deux cents officiers d’épée, cinq cents officiers de plume, commis, ouvriers, gardiens et hommes de peine, des commissaires de marine, des écrivains, des copistes, des surnuméraires, des maîtres ouvriers, des compagnons, sans compter la prévôté, le personnel des hôpitaux et les maîtres des écoles. Je règne, madame, modestement, sur un royaume de dix-huit mille sujets.
    Tout le temps qu’il parlait, sa main droite descendait et remontait le long du liséré doré du baudrier qui recouvrait en diagonale son justaucorps. On eût dit qu’il jouait du hautbois. Puis ses doigts s’arrêtèrent tout en bas sur le pommeau doré de son épée. Il avait conduit Delphine et sa mère à l’étage de la maison du roi sur un balcon profond qui s’ouvrait sur le port. Le soleil brillait en ricochet sur le sol de marbre et l’éclaboussait de sa ruisselante lumière. L’or qui savamment ornait son baudrier, le revers de son surplis, l’agrafe de sa cape, criait sur le blanc immaculé de son habit. Les bras ouverts, la chevelure au vent, il les invitait à admirer le monde dont il était le prince.
    Delphine fit tourner son ombrelle et s’avança jusqu’à la rambarde. Le spectacle, elle ne pouvait en disconvenir, avait de la majesté. Elle avait sur elle le pli qu’elle avait préparé à l’attention de Guillaume. Pouvait-elle le confier à M. de Montmor ?
    Le nouvel arsenal qui jouxtait l’ancien ouvrait ses perspectives sur la rive sud du Lacydon. C’était un ensemble impressionnant de longs bâtiments à étage unique, sur un rez-de-chaussée en arcade, ceints de hautes murailles percées de cinq portes. Perpendiculairement aux quais, se dressaient les hangars abritant contre les intempéries les formes de galères et les magasins où s’entassaient les tentes, les mâts, les voiles. C’était toute une société, une ville à côté de la ville, avec ses bureaux, ses ateliers et magasins, ses immenses entrepôts, sa manufacture, sa boulangerie, son hôpital, son canal intérieur.
    — Et Guillaume, demanda-t-elle, savez-vous où il est employé ?
    M. de Montmor parut agacé mais il répondit avec un ton d’une extrême douceur :
    — Il a été affecté sur La Renommée , une excellente galère. Je suppose qu’on l’enverra bientôt travailler à la corderie.
    Il désigna d’un geste large deux immenses bâtisses rectangulaires et fort longues, séparées entre elles par une étroite rue, fermant l’arsenal au sud. Il expliqua que la plus éloignée du port, touchant presque le mur de clôture, était la corderie, et la plus rapprochée renfermait les casernes et le bagne, tout récemment construit, où logeaient et travaillaient environ un millier de forçats, invalides ou trop âgés pour tirer la rame et qui y produisaient une bonne partie des étoffes des galères : cordillat pour la chiourme et cotonine pour les tentes et les voiles.
    — C’est donc dans ce bagne, demanda Delphine, que dorment les galériens ?
    M. de Montmor lui adressa un sourire crispé. Les galériens, était-ce là tout ce qui l’intéressait ?
    — Non, madame, pour l’essentiel, la chiourme dort dans les galères.
    Elle eut, à ce mot, une brusque montée de rouge aux joues. Elle ne pouvait confier sa lettre à un tel homme. L’évidence sautait aux yeux : malgré son discours, il ne ferait rien pour aider Guillaume. Peut-être désirait-il couvrir quelqu’un ?
    M. de Montmor les invita à regarder la trentaine de bâtiments qui mouillaient du côté de la ville.
    — Pourquoi sont-ils à l’opposé de l’arsenal ? demanda Mme d’Orbelet en agitant son éventail.
    — C’est là, madame, qu’ils sont à l’abri du plus violent mistral.
    — Et puis, dit perfidement Delphine, cet emplacement, n’est-ce pas ? est un moyen d’imprimer plus avant la mainmise du roi sur la ville ?
    Derrière les galères, le vieux Marseille, étouffant entre ses remparts et la mer, s’élevait par degrés, étageant ses maisons en décor de théâtre. De la tour de l’Observatoire dressée au coeur de la cité, au sommet de la

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