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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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cheville gauche.
    — Louis XIV n’a pas le choix, lui expliqua Lapardula, car du sort réservé aux mahométans sur les galères françaises dépend celui réservé aux chrétiens sur les galères du dey d’Alger.
    Le quarterol et le quinterol à la droite de Lapardula étaient tous deux des déserteurs, l’un du nom de Louvet avec des yeux de crocodile sous une peau craquelée et l’autre un grand roux un peu chétif, un Écossais, qui se faisait appeler bêtement Scott. Même en excluant les Turcs, c’était plus d’une dizaine de nationalités qui était représentée sur la galère, une véritable légion étrangère composée pour partie de ressortissants des États ayant conclu, à cet effet, un accord diplomatique avec la France : Pologne, principautés allemandes, Savoie et Comtat Venaissin, et pour l’autre partie d’étrangers déserteurs des régiments du roi : Suisses, Anglais et Écossais pour la majorité d’entre eux. La plupart de ces hommes étaient squelettiques, toussaient, crachaient même pour certains du sang et leurs membres rongés par les puces et les punaises ressemblaient parfois à des pièces de boucherie qu’auraient dévorées des chiens.
    — Tu dois être patient, répéta encore Lapardula. Ici, la vie ne vaut rien ou pas grand-chose. Il vaut mieux réfléchir avant d’agir.
    Ils se calèrent sur le bois, en se couvrant les jambes avec leur capote en poil de boeuf. Sous les feux tournants de la lune, la galère se chargeait d’ombres et de mystères, la luminosité du ciel ouvrait des perspectives où les corps assommés de fatigue, couchés sur les bancs, prenaient des poses pathétiques. Guillaume, dès qu’il ferma les yeux, se sentit envahir par une peur terrible, irraisonnée : il était aux galères, rasé, dépouillé, jeté au milieu de la racaille, séparé de sa femme. Et si on l’oubliait ? Et s’il échouait dans sa mission ? Et si M. de Chabas et M. de Montmor décidaient de ne plus le laisser sortir ?
    — Calme-toi, chuchota-t-il. Tu réussiras.
    Mais la vermine le grattait de partout. L’odeur l’indisposait. Le Noir, dénommé Mustapha, dormait assis, la tête posée sur ses bras joints et ses grosses cuisses ballottées par la houle faisaient crier le bois du banc. Il prenait toute la place. Lapardula s’était calé dans le « ramier », l’endroit où la rame aboutissait lorsque la galère était armée. Scott et Louvet dormaient tête-bêche et ronflaient comme des poêles chauffés à blanc. Une odeur de poisson pourri venait de la ville avec le vent mou. Guillaume chercha à son tour à s’endormir. Mais quelque chose dans sa cervelle ne voulait pas s’éteindre. Se mêlant au clapotement de l’eau, les pas des pertuisaniers couvraient de temps en temps les respirations somnolentes et les ronflements rauques autour de lui.
    — Tu ne dors pas, l’ami ?
    C’était une voix retenue, trop douce, sirupeuse. Guillaume aperçut, penché au-dessus de lui, un crâne rasé orné de deux oreilles gigantesques, griffues comme des ailes de chauve-souris. C’était un galérien, sans doute un vieux de la vieille parce que ses vêtements étaient usés. Il souriait, gencives à nu, accroupi au bord de la coursie. Derrière lui se tenait un comparse, une sorte d’ogre gras, avec un ventre couenneux qui débordait sur la corde de son pantalon. Ni l’un ni l’autre n’étaient attachés.
    — Tu veux un peu de vin ? demanda-t-il en brandissant une cruche.
    Sans que Guillaume ait eu le temps de répondre, l’homme sauta avec une grande agilité dans la travée à côté de lui.
    — Je n’ai pas soif, merci, dit Guillaume en lui faisant face.
    — De quoi as-tu peur ? Regarde, les pertuisaniers nous laissent tranquilles. Nous ne te voulons pas de mal, bien au contraire, n’est-ce pas, Philistin ?
    Le nommé Philistin étouffa un rire en grognement de cochon qui fit tressauter tout son lard. Il se pencha à son tour et, d’un geste brusque que Guillaume ne sut pas prévenir, il lui posa un couteau sur la gorge. De son bras libre, il vint lui enserrer la nuque.
    — Un mouvement, un cri et tu es un homme mort, dit le galérien aux oreilles de chauve-souris.
    Il posa ses deux mains sur les hanches de Guillaume, le massa de ses deux paumes ouvertes puis glissa vers les fesses. Guillaume eut un mauvais réflexe et il sentit la brûlure de la lame sur sa pomme d’Adam.
    — Tout doux, mon gentil poulain, continuait l’homme. Ce

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