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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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les services des galères de France après avoir été débauché à l’ordre de Malte. Ils comprirent vite qu’ils auraient pu tomber plus mal car Contrucci, qui n’aimait que les courses en mer, laissait une paix royale à sa galère dans les temps de relâche. D’autres, s’ennuyant ferme, multipliaient les exercices inutiles et les manoeuvres « à sec » sans autre but que de torturer la chiourme et de mettre l’encadrement sous pression.
    La Renommée était une galère « sensile », de deux cent soixante rameurs répartis sur cinquante-deux bancs, capable en outre d’embarquer, lorsqu’elle devenait active, une dizaine de gardes-chiourme, quatre-vingt-dix soldats, trente mariniers de rame et autant de matelots, une quarantaine d’hommes de maistrance et cinq ou six officiers. Mais par temps de relâche, seuls dormaient à bord la chiourme et son encadrement et cela faisait presque de la place.
    Ils furent distribués deux à deux sur les bancs selon des critères qui leur échappèrent. Lapardula était à deux rangs derrière Guillaume, mais profitant de ce que l’on ne leur avait pas encore remis leurs chaînes, il parvint à se faufiler et à imposer une permutation au compagnon du jeune procureur. Le garde-chiourme qui les surveillait, assis à califourchon sur la corde, ses bottes en avant, le chapeau incliné sur la tête, n’avait rien vu.
    — Alors, ça va ?
    L’Italien l’observait, un peu inquiet. Avec le crâne rasé et sans ses beaux habits, Guillaume avait perdu de sa superbe. L’éclat de son regard même avait baissé d’intensité comme une eau qui peu à peu est prise par la glace.
    — Oui, ça va.
    —  Bene .
    Ils se turent un instant, le temps que les argousins les enferrent. Ils avaient moins de place encore qu’à la prison Saint-Bernard. Des bêtes noires couraient sur les bancs et dans les voiles cardées au-dessus d’eux. Des excréments jonchaient le sol et une forte odeur d’urine flottait sur le bateau. Là-bas, devant l’hôtel de ville, les mâts des galères jetaient sur l’eau couleur d’ardoise les raies cassées de leurs ombres. Dans la nuit claire, une partie de la cité se rejetait dans l’ombre et une autre s’avançait, fière, au-devant de l’eau, polie d’ivoire et de bleus lumineux.
    — On m’a averti qu’un informateur de l’intendant prendra bientôt contact avec toi. Je ne sais pas qui il est. On m’a dit qu’il prononcera le mot « étoile ». C’est le signe de reconnaissance. Toi, tu devras répondre « ciel ». Alors, il te dira ce qu’il sait.
    — On m’a parlé d’un Orfèvre. D’un Orfèvre qui donnerait des ordres et qui, ici, serait obéi.
    — Demain, j’essaierai d’en savoir plus. Mais il faut être patient.
    Lapardula paraissait fatigué, un peu inquiet. Sous sa paupière lourde, il n’avait plus qu’un petit fil d’oeil. Il observa par en dessous leurs compagnons de banc. On avait mêlé à ceux qui, comme eux, étaient arrivés le matin, une cargaison de « Turcs » fraîchement débarqués, que le roi avait fait acheter sur les marchés d’esclaves de Majorque, de Malte, de Gênes et de Livourne. Guillaume savait que toutes les flottes de la chrétienté, à commencer par celles du pape et de l’ordre de Malte, faisaient largement appel à cette main-d’oeuvre servile, à ces « Turcs », aussi bien originaires de l’Empire ottoman que Nègres du Sénégal et Barbaresques de l’Afrique du Nord. C’étaient là des hommes forts et disciplinés, habitués à la rudesse de l’existence, et de ce fait un investissement des plus rentables.
    Ils avaient été répartis dans les rangs et le voisin gauche de Guillaume, affecté au poste de vogue-avant, était ainsi un grand Noir taciturne, avec des bourrelets de bronze sur les flancs et, sur son bras droit, tatouée, une ligne d’écriture bleue. Il portait, ainsi que la plupart de ses congénères, de longues moustaches et une mèche de cheveux qui, du sommet du crâne, tombait sur la nuque en queue-de-cheval et que l’administration leur laissait tout à la fois pour les repérer et pour leur accorder quelques privilèges, au rang desquels il fallait ajouter la disposition, dans l’enceinte du cimetière de la chiourme, d’un enclos contre la muraille du nouvel arsenal réservé à leur religion et, ce qui surprit fort Guillaume, le droit de ne pas être attaché au banc et de pouvoir circuler à bord avec un simple bracelet à la

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