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Les guerriers fauves

Les guerriers fauves

Titel: Les guerriers fauves Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Viviane Moore
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et s’aperçut qu’il avait sculpté sans s’en rendre compte un minuscule visage de femme aux yeux tristes, encadré d’une longue chevelure bouclée.
    Hugues se pencha vers lui et saisit le morceau d’if. L’étonnement se peignit sur ses traits.
    — Gardez-le précieusement, fit-il en le lui rendant. Il lui ressemble.
    — Quand me parlerez-vous enfin ?
    — Que voulez-vous savoir ?
    Après toutes ces années de silence, tous les « plus tard » ou « le moment n’est pas venu » de son maître, la question prit Tancrède au dépourvu. Il resta muet. Incapable de dire par quoi il voulait commencer, tant les questions qui le préoccupaient étaient nombreuses et se bousculaient dans sa tête.
    Sentant son désarroi, Hugues reprit :
    — Si vous en êtes d’accord, je vous parlerai d’abord de celle qui fut votre mère.
    Le jeune homme eut l’impression de murmurer un « oui », mais aucun son ne sortit de ses lèvres. Ses mains tremblaient. Il les cacha dans les replis de sa cape et attendit que son maître reprenne la parole.
    — Elle s’appelait Anouche. Elle était fille d’un orfèvre arménien et son nom voulait dire « douce, lumineuse, parfumée »... Elle avait été faite prisonnière avec les siens par Roger II et elle n’a échappé à sa condition d’esclave que grâce à l’amour que lui vouait votre père.
    — Esclave, ma mère... répéta Tancrède d’une voix blanche.
    Il se tut. Essayant d’assembler les bribes éparses de ses souvenirs et ce que venait de lui apprendre Hugues. Esclave. Prisonnière. Qu’avait donc dû subir celle qui lui avait donné le jour ? Il l’avait imaginée bergère, lavandière, princesse même, mais jamais esclave.
    — Anouche, répéta-t-il. Je crois que cela me suffit pour aujourd’hui, Hugues. Je ne pensais pas qu’un simple nom pourrait autant me bouleverser. J’ai besoin de temps.
    — Je ferai comme vous le désirez.
    Il y avait de la tristesse dans la voix de l’Oriental. Une tristesse qui fit que Tancrède demanda :
    — Vous l’avez connue ?
    — Pas assez, hélas ! Je ne l’ai vue qu’à trois reprises. Même quand votre père l’a fait libérer du tiraz, elle a vécu recluse.
    Le jeune homme se leva. Tous les mots le blessaient, le heurtaient : « libérer », « recluse », et pourtant, il savait que son maître les choisissait avec soin.
    — Mais vous parlez au passé, n’est-ce pas ? Estelle...
    Il hésitait à demander ce qui était plus important que tout. Cette question pour laquelle il ne pouvait imaginer qu’une seule réponse.
    — Est-elle encore vivante ?
    — Non.
    Le mot était tombé, détruisant tout sur son passage, le terrassant mieux qu’aucune arme n’aurait pu le faire. Il sentit ses jambes se dérober sous lui. Hugues poursuivait :
    — Elle est morte l’année précédant notre départ. Vous n’aviez pas quatre ans.
    Tancrède n’eut pas le courage d’en demander davantage et encore moins de parler de son père. Cette mère qu’il venait de retrouver, dont il se répétait le nom, Anouche – douce, lumineuse et parfumée  –, était à nouveau morte pour lui.
    — Je veux rester seul, murmura-t-il.
    L’Oriental fit mine de s’approcher de lui, puis se reprit et s’inclina avant de s’éloigner.
    Tancrède ne s’aperçut pas de son départ.
    Anouche. Il répétait le nom de sa mère perdue.
    Sa mère anéantie par un seul mot. Cette mère qui resterait toujours une inconnue. Dont la pensée l’avait aidé à grandir. L’espoir de la retrouver l’avait fait vivre, l’avait guidé dans la vie aussi sûrement que la main de son maître.
    Jamais, comme dans ses rêves d’enfant, il ne pourrait courir vers elle. Jamais il ne la prendrait dans ses bras...
    Pouvait-on éprouver la perte d’un être que l’on avait si peu connu ? Dont le souvenir si ténu n’était plus que l’écho de lui-même ? Pouvait-on ressentir un deuil vieux de quinze ans ? Sans doute, puisque les larmes lui montaient aux yeux. Tancrède se tourna vers le large et serra les poings, ses ongles s’enfonçant dans ses paumes.

PIQUE LA LUNE

17
    Assis deux par deux sur les bancs de nage, une dizaine d’hommes d’équipage se partageaient biscuits de mer et lanières de viande séchée en buvant des rasades de vin coupé d’eau. Les autres s’activaient autour de la voile.
    L’esnèque avait dépassé la pointe du Cotentin. D’autres navires croisaient au large, des nefs

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