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Les guerriers fauves

Les guerriers fauves

Titel: Les guerriers fauves Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Viviane Moore
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leur vision s’obscurcit, un voile brumeux se profilait entre eux et le littoral. Ici et là, des trouées de lumière permettaient encore d’apercevoir les plages et les forêts qui venaient mourir aux berges des havres. Le knörr, trop lourdement chargé pour ses rameurs, peinait à les suivre.
    Des dauphins apparurent soudain devant le nez du navire, entourant l’étrave, filant devant, passant dessous, se jouant d’elle puis sautant très haut comme pour les défier et retombant dans des gerbes d’écume.
    — Ils doivent venir de la baie de Barneville, marmonna le pilote en les observant. Vivent là été comme hiver.
    L’homme était tendu. Il attendait quelque chose et scrutait autour de lui de son regard aigu, essayant de percer la brume qui les empêchait de voir la côte. Le son d’une cloche leur parvint soudain, provoquant un large sourire sur son visage lunaire.
    — Là voilà ! s’écria-t-il en baisant la médaille de la Vierge qu’il portait autour du cou. C’est Notre-Dame. Ah, merci, merci ! On est bien là où je pensais. Allez, Knut, on vire tribord vers les Écrehou. Mais d’abord, faut attendre le knörr, on va les perdre.
    — C’est pas dangereux, les Écrehou ? demanda le charpentier qui n’aimait pas ces parages riches en écueils et en courants traversiers.
    — Je connais ! jeta sèchement le pilote. Tu me fais plus confiance, donc ?
    — Mais si ! C’est juste que j’aime pas ce coin, protesta Knut en s’en voulant d’avoir oublié la susceptibilité du jeune homme.
    — Si faut accoster, moi j’préfère là-bas qu’ici, fit l’autre. Et demain, on sera au plus près de Jersey.
    — Tu penses donc qu’on y arrivera pas ce soir ?
    — Elle va pas se lever, la belle !
    Sa voix s’était radoucie et il tendit une main caressante vers la brume.
    — L’est trop dense. Y faisait trop beau, j’te l’avais dit !
    Et il était exact qu’alors qu’ils quittaient à peine Bar-fleur, contents d’avoir un temps aussi clair, le Breton l’avait prévenu qu’ils allaient rencontrer le brouillard.
    Quelques instants plus tard, après que le knörr les eut rejoints, ils viraient vers le large.
    Comme pour confirmer les prédictions du Breton, les nuées s’épaissirent encore, se dressant devant la proue tel un mur opaque.
    — On met en panne ! jeta soudain le pilote qui s’était perché sur l’étrave.
    Les contours du monde avaient disparu. Le maître de la hache jura. Le nez du navire et le haut du mât s’effaçaient lentement mais inexorablement, bientôt on n’y verrait même plus d’un bout à l’autre du pont.
    Non sans avoir longuement sonné pour prévenir le navire de charge, l’esnèque s’immobilisa. Le pilote rejoignit le stirman avec qui il échangea de brèves paroles. L’étrave du knörr était si proche de leur poupe que les hommes s’apostrophaient d’un navire à l’autre.
    — Silence, vous autres ! ordonna Harald. Le canot à la mer ! Et lancez un filin au knörr ! On va marcher à la traîne.
    Une fois l’esquif descendu, le pilote et le sondeur se laissèrent glisser dedans avec un rameur.
    Ils disparurent bientôt dans le brouillard et le câble qui les reliait à l’esnèque se tendit. Un soudain coup de trompe donna le signal aux rameurs qui plongèrent leurs avirons dans les vagues.

18
    La brume avait enveloppé Hugues, debout à l’avant. Un ordre du pilote résonna si proche de lui que, perdu dans ses pensées, il sursauta.
    — Le brouillard porte le son, expliqua Hugues à son protégé, apparu à ses côtés.
    — Pourquoi sont-ils allés sur ce canot ?
    — Vous ne pouvez pas vous en rendre compte. Mais si vous étiez descendu avec eux, vous verriez que la brume plane souvent à quelques pieds au-dessus de l’eau. Ils voient les écueils et les îlots, pas nous.
    L’esnèque avançait au ralenti et le temps s’étira. La brume avait escaladé la coque, rampant sur le pont, cernant les silhouettes des rameurs avant de les effacer.
    Tancrède avait l’impression singulière que, d’un instant à l’autre, leurs propres membres allaient disparaître et qu’en tendant le bras devant lui, il perdrait sa main. Ils ne voyaient plus rien, mais étaient environnés de bruits : celui des avirons qui plongeaient avec régularité, les vagues s’écrasant sur les récifs, le grognement du chien sur le knörr... Leurs visages et leurs vêtements étaient recouverts de fines gouttelettes d’eau.

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