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Les guerriers fauves

Les guerriers fauves

Titel: Les guerriers fauves Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Viviane Moore
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Saint-Hélier, j’ai trouvé bien des charmes à Poitiers, à commencer par la fréquentation de notre reine.
    Eleonor essaya en vain d’imaginer la cour de Poitiers, les esprits brillants qui s’y croisaient et la magnificence de la grande Aliénor d’Aquitaine, l’épouse d’Henri II. Tout cela la ramena au manoir de sa jeunesse. Ce n’était pas un lieu doré où les poètes se disputaient les faveurs des femmes, mais elle y avait aimé les couleurs du printemps, les odeurs de l’hiver et cette rudesse qui l’avait faite telle qu’elle était aujourd’hui.
    — A quoi songez-vous, damoiselle ? fit doucement le poète.
    — A tout ce que j’ignore encore.
    Wace sourit.
    — Vous apprendrez vite tout ce qu’il y a à apprendre, damoiselle. Je ne m’en inquiète pas. Je vous laisse, il serait trop douloureux que ce soit vous qui vous éloigniez de moi. À vous revoir.

15
    Le capitaine Corato était au gouvernail avec un géant blond que Giovanni Della Luna ne reconnut pas.
    — Tu cherchais après moi, capitaine ? Qui est celui-là ?
    — Je sais, mon maître, que vous aimez connaître les gens qui travaillent sous vos ordres. Je voulais vous présenter notre nouveau rameur.
    — Ah oui, c’est vrai, acquiesça Giovanni en se souvenant de leur conversation sur le quai de Barfleur. C’est toi qui connais la côte jusqu’au Mont-Saint-Michel ?
    L’homme acquiesça d’un signe de tête. Grand, blond, le regard bleu, il devait avoir une trentaine d’années, l’aisance et la souplesse d’un guerrier plus que d’un homme de mer.
    — Si tu te présentais, demanda le Lombard.
    — Mon nom est Bjorn {4} . Je viens de Pirou, en Cotentin.
    — Et que sais-tu faire, Bjorn, à part tenir des rames ?
    — Garder les abeilles, pêcher, monter à cheval, nager... Et puis lire, écrire et me battre, aussi.
    — Lire et écrire ! Ce n’est point courant sur les bancs de nage. Est-ce que tu sais aussi compter ?
    — Oui.
    — Qui te l’a appris ?
    — J’ai été élevé au château... C’était l’aumônier.
    — Bien. Et pourquoi l’as-tu quitté, ce château où l’on apprend aux manants à lire et à écrire ?
    — Je ne suis pas un manant, mais un homme libre ! protesta Bjorn. Je voulais prendre la mer.
    — Eh bien, tu l’as prise, l’homme libre ! fit Giovanni. Si tu travailles bien, je ferai de toi davantage qu’un rameur. Où veux-tu aller ?
    — Jusqu’où le vent nous poussera.
    Le Lombard se tourna vers le capitaine Corato.
    — Donne à celui-là davantage de travail qu’à ses compagnons, ordonna-t-il d’une voix dure. Et qu’il tienne seul un banc de nage pendant quelque temps. Je veux qu’il fasse tout ce qu’il y a de plus rude à bord, mais aussi que tu lui enseignes la mer.
    Puis il se tourna à nouveau vers Bjorn.
    — Tu as entendu ?
    Le géant acquiesça et, sur un signe du capitaine, retourna à son banc.
    — On va avoir du brouillard, annonça Corato d’un air inquiet.
    Giovanni regarda l’horizon sans nuages, la mer agitée d’une houle calme. Ils avaient dépassé le fin bout de la presqu’île du Cotentin et voyaient se profiler les premières îles. Loin derrière eux s’amoncelaient des nuées noires.
    — Vous autres, gens de mer, voyez des choses que nous ne voyons pas. Mais c’est pour cela que nous vous payons. Tu crois que ça peut nous empêcher d’atteindre Jersey ?
    — Peut-être, fit Corato en haussant ses larges épaules. On verra ce que décidera le pilote d’Harald. C’est lui qui commande la marche et y a pas meilleur que lui. Mais va y avoir de la brume, c’est sûr. Et par ici, c’est pas bon. Cette mer, c’est un tas de cailloux !

16
    Pendant ce temps, à bord de l’esnèque, Tancrède, debout près de l’homme de gouvernail, contemplait, fasciné, l’horizon vide et mouvant. Il se demanda soudain depuis combien de temps ils avaient quittés Barfleur.
    Des centaines de mouettes les escortaient, des bancs de poissons argentés s’enfuyaient devant l’étrave recourbée. Le sondeur avait cessé depuis longtemps de « chanter le fond ».
    Tout était si neuf ! Le visage rougi par le froid, son mal de mer oublié grâce à la potion donnée par Hugues, il s’abandonnait à la sensation inhabituelle du va-et-vient de l’océan sous ses pieds. Il se sentait lourd et maladroit comme un enfant qui doit apprendre à marcher. Il chercha la côte du regard, essayant de trouver des repères dans un

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