Les guerriers fauves
près de la porte. Le viguier lui fit signe d’emmener la prisonnière.
— Pourquoi ne pas avoir entendu ce qu’elle avait à dire ? demanda le commandeur.
— Patience, patience ! répondit le viguier avec un sourire sinistre. Il est bon que cette femelle croie que nous allons la pendre. Elle nous en dira davantage.
Le prévôt acquiesça d’un signe de tête. Hugues semblait s’être désintéressé de ce qui l’entourait. Il repensait à l’amulette qu’il serrait toujours dans son poing.
— Pour l’instant, l’assassin nous échappe encore. Si nous entendions les hommes arrêtés par vos templiers ? Le commandeur s’inclina.
47
Quelques instants plus tard, la porte s’ouvrait à nouveau. Deux chevaliers du Temple entraient, poussant devant eux Giovanni et Tancrède. L’Italien vacillait de fatigue, quant au protégé de l’Oriental, son regard s’éclaira à la vue de son maître, puis s’assombrit.
Hugues était resté impassible et seul un observateur attentif aurait pu deviner la tension qui l’habitait. Le jeune homme parcourut les visages sévères du viguier, du prévôt et du commandeur et devina, sans les connaître, que c’étaient là les justiciers de la ville.
— On vous a prévenu, messire, qu’on nous avait conduits à la commanderie ? demanda-t-il d’une voix moins assurée qu’il n’aurait voulu.
— On ne m’a prévenu de rien, sire Tancrède, et, sachez-le, vous vous retrouvez avec maître Délia Luna devant les plus hautes autorités de La Rochelle pour répondre à de terribles accusations.
Le visage de son maître ne trahissait aucune émotion et Tancrède attendit la suite. Il réalisait soudain à quel point son manque de lucidité de la veille pouvait lui coûter cher. Il essayait de deviner ce qui avait pu se passer, ce dont on allait les accuser, lui et Giovanni.
— Vous vous connaissez ? demanda Nicolas de Ciré à Hugues de Tarse.
— Oui, messire. Je connais ces deux hommes. L’un d’eux est l’armateur du navire marchand avec lequel l’esnèque fait route : maître Giovanni Délia Luna. L’autre est mon fils adoptif, Tancrède.
L’un des templiers, escortant les prisonniers, s’avança. C’était frère Aymon, le moine-soldat qui avait arrêté les deux hommes.
— Cet homme avait dit qu’il vous connaissait, messire. Mais je ne l’ai pas cru, pardonnez-moi.
— Ce n’est pas grave, mon frère, répondit Hugues, toujours très calme.
— Si vous les connaissez, cela change tout, commença le commandeur du Temple d’un ton conciliant.
— Je vous remercie de ces paroles, commandeur, mais non !
Hugues s’était tourné vers le viguier. L’homme n’avait pas bronché, il observait la scène de ses petits yeux noirs et Hugues savait que, pour celui-là, Tancrède ne devait pas être relâché sous un autre prétexte que celui de son innocence pleine et entière.
— M’autorisez-vous, messire viguier, à questionner ces hommes ?
L’homme mordilla sa lèvre inférieure d’un air mécontent, puis finit par acquiescer :
— Allez-y, messire. Nous n’avons qu’à nous louer, jusqu’à présent, de votre collaboration.
Hugues avait noté le «jusqu’à présent ». Il se tourna vers frère Aymon.
— Si vous nous disiez tout d’abord, mon frère, ce qui vous a amené à arrêter ces hommes ?
— Je les ai trouvés près du champ de foire, l’un d’eux était quasi inconscient, l’autre s’apprêtait à le charger sur ses épaules et je vous avouerai que, sur le moment, nous avons pensé qu’il l’avait assassiné ou dépouillé. Et puis, nous nous sommes aperçus que celui-là...
Le templier désignait Giovanni.
— ... celui-là cuvait son vin. L’aube n’était pas encore venue et vous savez que nous n’aimons guère que des gens rôdent à cette heure dans les ruelles. Les propos du plus jeune étaient embrouillés. Je les ai priés de nous suivre à la prévôté et le doyen et moi-même avons interrogé l’autre.
— Pas «l’autre », sire Tancrède ! le reprit Hugues avec douceur. Mon frère, vous avez interrogé sire Tancrède.
— Euh, oui, pardonnez-moi.
— Que vous a-t-il dit ?
— Qu’ils avaient passé la nuit chez la Guenièvre, mais qu’auparavant leurs pas avaient croisé ceux d’une pauvresse...
— C’est tout ?
— Oui, mais la pauvresse était...
— Merci pour toutes ces précisions, mon frère, le coupa Hugues.
Le moine se tut.
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