Les guerriers fauves
s’approcha du marchand dont il saisit les mains pour les serrer dans les siennes.
— Assez de tout cela ! Avec nos excuses pour ce désagrément et mes salutations à votre estimable frère, messire Giovanni. Vous êtes libre, et vous aussi, bien sûr, messire Tancrède.
Le marchand s’inclina.
— Je savais que je pouvais compter sur votre sens de la justice, messire.
Le gros homme fit un geste évasif.
— Je vous laisse, maintenant. Prévôt, je compte sur vous pour trouver l’assassin mais plus encore, je vous l’avoue, pour en finir avec ce marché humain. Et si vous avez besoin d’un exemple, pendez la vieille !
Le commandeur et le prévôt s’inclinèrent, le viguier sortit. Les chevaliers du Temple demandèrent à se retirer.
— La vieille ! maugréa le prévôt. Cela ne fait pas grand-chose à se mettre sous la dent.
— Elle ne vous avouera que ce qu’elle sait, c’est-à-dire rien, remarqua Hugues. Et quant à ce bourdeau, je vous fais le pari qu’il n’y aura plus de gamines quand vos hommes et vous y ferez visite.
— J’espère que vous vous trompez, sire de Tarse, mais j’y vais de ce pas, et avec la mère Pendille. À vous revoir.
Le prévôt sortit à son tour. Il ne resta plus dans la pièce qu’Hugues, Tancrède, Giovanni et le commandeur du Temple.
— Et notre assassin ? demanda ce dernier.
— Plutarque disait : « La patience vient mieux à bout de ses entreprises que la force, et bien des choses, qu’on ne saurait emporter d’un seul coup, cèdent aisément si on les prend l’une après l’autre », murmura Hugues.
48
La vergue était réparée. La marée propice. Passagers et marins avaient embarqué sur le knörr et l’esnèque. Ils allaient bientôt lever l’ancre et Pique la Lune, son balluchon sur le dos, était venu faire ses adieux au stirman. Il avait la mine sombre comme à chaque fois qu’une de ses aventures avec la mer prenait fin.
— C’était, ma foi, déclara-t-il, une traversée comme je les aime. Un plaisir de naviguer avec toi, Harald.
Le Norvégien hocha la tête et tendit une bourse de cuir au Breton.
— Voici ce que nous te devions.
— Merci, fit le pilote en empochant son argent.
Il allait reprendre le balluchon posé à ses pieds quand le stirman interrompit son geste.
— Nous avons parlé, Knut et moi, ajouta-t-il. Ne m’as-tu pas dit que, pour l’instant, tu n’avais pas d’autre engagement ?
— Oh, ça tardera pas ! Ici, les bateaux manquent pas. J’en trouverai bien un qui remonte vers Bordeaux ou qui va vers l’Angleterre. Je suis pas inquiet.
— Et si tu restais avec nous ?
— Pardon ?
Les yeux du Breton s’étaient agrandis d’étonnement.
— Tu as bien entendu. Si tu venais avec nous jusqu’en Sicile ?
— Mais je ne sais pas le chemin ! protesta le marin.
— Nous attendons le nouveau pilote. Il t’enseignera. C’est une occasion pour toi d’apprendre la côte et les courants jusque là-bas.
— Je ne peux pas rester à votre bord sans rien faire.
— Qui parle de ne rien faire ? répliqua le Norvégien. Corato avait besoin d’un sondeur, je lui ai donné le nôtre. Tu pourras le remplacer.
— Tu étais donc sûr de ma réponse ? remarqua le Breton, les sourcils froncés.
Le Norvégien ne répondit pas. Ils restèrent un moment silencieux, puis un sourire se dessina sur les lèvres de Pique la Lune. Sa décision était prise. Il se remémorait ses conversations avec Hugues de Tarse. Les rivages de l’Afrique, les îles, les courants, les vents venus du désert, cette mer sans marée, il n’avait qu’un mot à dire... Et il connaîtrait tout cela.
Il tendit la main au stirman.
— J’accepte, fit-il.
— Alors reste avec moi, répondit le Norvégien. Voici notre pilote.
Effectivement, Knut venait vers eux suivi d’un homme vêtu d’une chainse de mauvais drap et des braies courtes des marins, la taille marquée par une ceinture de toile, les pieds nus.
— Voici notre stirman, fit le maître de la hache en présentant Harald.
Knut repartit, non sans avoir jeté un coup d’oeil à Pique la Lune qui inclina la tête pour lui faire comprendre qu’il avait accepté leur offre.
Le nouveau venu salua le Norvégien. D’épais cheveux noirs frisaient sur sa nuque, encadrant un visage sec aux pommettes hautes.
— Mon nom est Jacques. Je suis né à Édesse, fit-il avec un accent du Sud.
— C’est un capitaine anglais qui t’a
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