Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
Vom Netzwerk:
anglaise. Sur toutes les tribunes, ils nous ont accusés de lâcheté et de trahison de la mère patrie, car nous ne souhaitions pas envoyer nos enfants à la boucherie.
    Le constat ne péchait pas par exagération. Sur de nombreuses estrades, dans plusieurs journaux, les loyaux sujets de l’Empire britannique avaient parfois réclamé l’exécution de masse des personnes opposées { l’effort de guerre. Ces éclats de voix ne venaient pas des seuls conservateurs. Ils hantaient encore le parti d’opposition.
    — Pendant la guerre, nos collègues nous accusaient des pires crimes. Maintenant, ils protestent sans se gêner sur la trop grande place des Canadiens français au sein du Parti libéral. Ils craignent que le nouveau chef soit placé sous notre autorité.
    Les délégués du Québec comptaient pour trente-quatre pour cent du total des participants à la convention. Certains parlaient anglais, mais leur nombre se trouvait compensé par celui des francophones venant des autres provinces. En votant en bloc, ces Canadiens français désigneraient réellement le gagnant.
    — Voyons, commença Taschereau, une pareille stratégie ne nous conduira nulle part. .
    — J’ai une proposition pour vous, poursuivit David.
    L’homme sortit une feuille de la poche intérieure de sa veste. Il la déplia et commença de sa belle voix d’orateur :
    — Considérant que depuis plusieurs années la tactique des adversaires du Parti libéral au Canada a été, premièrement, de soulever les préjugés religieux et nationaux. .
    Le politicien lut encore quatre autres «Considérant», tous bien ancrés dans l’actualité récente, susceptibles d’avoir blessé profondément ses compatriotes. Puis, à la fin, il conclut:
    — Résolu que les délégués de la province de Québec croient opportun de déjouer ces projets en laissant à leurs concitoyens d’origine anglo-saxonne la responsabilité du choix qui sera fait par cette convention, et de prier les représentants de cette province dans le parlement d’être les continuateurs de la politique libérale énoncée par sir Wilfrid Laurier, dont le pays et le parti déplorent si vivement la perte.
    La longue proposition laissa l’assemblée, composée de plus de quatre cents personnes, frappée de stupeur.
    — Quelqu’un appuie-t-il la proposition ? demanda Rodolphe Lemieux après un moment de silence.
    — Moi, je veux bien.
    Depuis un coin de la salle, Moïse Desjardins, un délégué du comté de Terrebonne, la circonscription dont Athanase David était le député à l’Assemblée provinciale, se dévouait.

    Son appui permettait de débattre de la motion. Autrement, la discussion se serait arrêtée là.
    — C’est ridicule, tonna Ernest Lapointe. Nous n’allons pas nous comporter comme des enfants désireux de quitter le terrain de jeu à la première frustration.
    — Vous avez entendu les insultes lancées à notre tête, rétorqua Athanase David. Ceux qui aujourd’hui nous adressent de beaux
    sourires,
    qui
    affectent
    de
    trouver
    naturel
    d’entendre quelques mots de français sur la scène, nous accusaient de lâcheté et de traîtrise l’an dernier.
    — Sir Wilfrid Laurier a consacré sa vie à nous faire une place au Canada, railla son adversaire, et vous seriez prêt à tout détruire sur un coup de tête, parce que votre épiderme trop sensible ne tolère pas quelques méchantes épithètes.
    — Ils nous détestent, glissa Desjardins.
    — Tous nos compatriotes de langue anglaise nous détestent, dites-vous? C’est adopter la même attitude que les impérialistes prêts à nous traiter en bloc de lâches, sans la moindre nuance.
    L’assistance demeurait muette, visiblement tentée de cesser de jouer avec ces camarades indélicats.
    — Mon collègue suggère que nous renoncions à assumer notre rôle sur la scène fédérale, déclara le député de Kamouraska. Les conservateurs, s’ils l’emportent encore la prochaine fois, ne nous ménageront pas de place. Les nationalistes ont fait en sorte de remettre la direction de la guerre à Robert Borden en 1911, Athanase veut nous amener à remettre la construction de la paix à Arthur Meighen, le dauphin de Borden, qui a toutes les chances de diriger nos adversaires lors de la prochaine élection.
    L’argument sembla porter. Rodolphe Lemieux s’empressa de retrouver
    son
    rôle
    de
    président
    de
    séance
    en
    demandant:
    — Etes-vous prêts à voter sur la proposition ?
    Une centaine de

Weitere Kostenlose Bücher