Les héritiers
dire que c’est une excellente amie.
Elle n’a jamais prétendu remplacer maman, tout en demeurant très attentionnée. Mais si les choses changeaient. .
— Crains-tu qu’après la cérémonie, son attitude se transforme ?
Son compagnon préféra s’en tenir { un sous-entendu.
— Je ne sais pas trop { quoi m’attendre. Malgré la situation, au cours des dernières années, elle ne faisait pas vraiment partie de ma famille. Dorénavant, ce sera différent.
À mots couverts, des semaines plus tôt, elle avait laissé entendre combien les relations entre cette femme et son père étaient «très sérieuses, même intimes».
— Tout le monde vivra sous le même toit, conclut le garçon. Qu’elle en use ou pas, le statut d’épouse lui donnera certains. . pouvoirs sur toi.
Elle acquiesça d’un lent mouvement de tête tout en portant sa tasse à ses lèvres. Puis, au moment de la reposer, elle nuança ses pensées :
— Je me questionne très probablement pour rien.
Depuis deux ans, elle a été très gentille, très respectueuse de mes sentiments. La nouvelle réalité ne devrait pas changer nos rapports.
— Tout de même, { l’âge où on est soi-même prête à fonder un foyer, se retrouver avec une belle-mère sur les bras demeure un peu troublant.
Le rose monta aux joues de la jeune femme. Il s’agissait d’une première allusion bien nette, quoique détournée, {
son propre mariage.
— Ma vague inquiétude tient sans doute à cela. Ma mère m’a beaucoup manqué, au moment de son décès. Marie a été précieuse dans les circonstances. Mais maintenant.. Je ne suis plus en âge de voir mes rapports avec elle se modifier beaucoup.
— Et ta jeune sœur, Amélie ?
Cette dernière avait fait les frais de quelques confidences.
— Elle est très jeune. . plus que son âge ne le laisserait croire. Elle profitera d’une main ferme pour la diriger dans la vie.
Françoise prononçait ces mots depuis son piédestal de jeune femme prématurément sage. Son compagnon, quant à lui, s’inquiétait des convenances, des risques de mésalliance.
— Ton père est vraiment épris de cette femme. Cette union a donc toutes les chances de fonctionner. Cela, même si lui est un professionnel, et elle une marchande. .
Il aurait pu tout aussi bien dire: «Tu es la fille d’un avocat, député de surcroît, et moi un commis dans une banque. Quelles sont mes chances de t’amener au pied de l’autel ? » Il n’osa pas.
— Il faudrait que tu la connaisses. D’abord, elle est bien plus prospère qu’elle ne le laisse paraître. Puis, ses deux enfants jouissent d’un revenu, ce qui leur permet de faire de longues études sans se soucier de la dépense.
Cette réponse ne soulagea en rien les inquiétudes du jeune homme.
—Je ne demanderais pas mieux que de la connaître.
Le ton trahissait une frustration longuement ruminée.
Alors que tellement de jeunes gens fréquentaient des demoiselles «pour s’amuser», lui souhaitait rencontrer la famille de Françoise. Ce serait en quelque sorte officialiser son statut de «prétendant sérieux».
— Présentement, ce serait plutôt indélicat de te recevoir dans sa maison. .
— Pourtant, il n’est plus là.
— Mais Thalie. .
— Je la connais.
Il se souvenait de la petite personne fantasque, volontaire, rencontrée à une reprise sur la terrasse Dufferin.
— Il y a aussi la domestique.
Si Gertrude présentait maintenant un visage plus amène à la jeune invitée de la maison, voir celui qui évinçait Mathieu de son propre domicile lui donnerait des envies d’empoisonneuse. Ne la connaissant pas, Gérard voyait l{
un très mauvais prétexte.
Il articula d’une voix chargée d’émotion :
— . . Tu iras au mariage avec le soldat, je suppose.
Il évitait toujours de nommer son rival par son nom, mais il utilisait ce terme dans ses moments de grande jalousie.
— Voyons, ne dis pas cela, tu sais bien que ce n’est pas vrai.
— J’entends bien ta protestation. De mon point de vue, il semble difficile de croire que vous serez tous les deux seuls, chacun de votre côté.
L’homme présentait des yeux de chien battu. Depuis leur arrivée dans ce lieu public, il n’avait touché ni le thé ni les biscuits. Elle se mordit la lèvre inférieure, puis bredouilla en rougissant :
— Je vais demander si je peux t’inviter.
En récompense, elle reçut de son compagnon un premier sourire sans équivoque. Sa précision le fit
Weitere Kostenlose Bücher