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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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entraîna la cliente vers les alignements de tablettes, au fond du magasin. A ce moment, une femme dans la vingtaine s’approchait de la caisse, une paire de gants à la main. Mathieu les prit en disant, un sourire de commerçant sur les lèvres :
    — Voilà un excellent choix. De nouveau, nous recevons des vêtements de France et d’Angleterre. Cela change un peu des produits américains.
    Selon les usages, l’acheteuse devait enchaîner avec une banalité sur la mode, le temps de payer la marchandise et de quitter les lieux. L’attention de celle-là fut distraite. Avec des gestes précis, Mathieu pliait les gants afin de les mettre dans une jolie petite boîte. Sa main gauche demeurait nue, la droite s’ornait d’un gant en cuir. Le jeune homme sentait les yeux curieux, cela rendit ses mouvements un peu plus saccadés.
    — Vous devriez l’enlever, murmura-t-elle.
    — . . Pardon?
    — Votre gant. Non seulement il fait chaud, mais cela nuit à votre dextérité.
    Comme pour illustrer les mots de son interlocutrice, un faux mouvement déchira le papier de soie. Le caissier serra les mâchoires. Il le chiffonna avec impatience, en chercha un autre sous le comptoir.
    — Cela ne me gênerait pas, je vous assure.
    Mathieu leva les yeux sur elle, les lèvres serrées. La cliente se voulait gentille. La blessure du jeune vétéran ne faisait pas mystère. Tout le monde, parmi les habitants de la rue, savait.
    — Je suis comme vous, madame, je préfère porter des gants. A tout le moins, un gant. Cela fait plus élégant, ne trouvez-vous pas ?
    Le regard du jeune homme contredisait les paroles et le ton légers. Ses yeux bleus exprimaient une colère à peine contenue. Son interlocutrice se tint coite ensuite, paya son dû et quitta la boutique d’un pas rapide. De retour près de la caisse, toujours avec son enrhumée en remorque, Marie avait entendu les derniers mots.
    — Laisse, je vais compléter l’achat de madame.
    — . . Je peux m’en occuper.
    La voix contenait une pointe d’impatience. La mère et le fils échangèrent un bref regard, le second baissa les yeux et s’écarta un peu. De cela aussi, les voisins conversaient sans doute. En plus de son majeur, le fils Picard avait laissé en Europe son humeur égale et son sourire mercantile.

    *****
La matinée paraissait s’allonger indûment. Les clientes demeuraient
    nombreuses,
    beaucoup
    s’exprimaient
    en
    anglais. Moins d’un an après la Grande Guerre, le tourisme reprenait lentement ses droits. Celles-l{ n’avaient aucune raison de se trouver dans la cathédrale Notre-Dame, située à quelques dizaines de verges, pour une messe présidée par le vieux cardinal Bégin.
    Un peu après onze heures, un homme fit tinter la sonnette placée au-dessus de la porte. Il dirigea son regard vers la caisse, visiblement intimidé de se trouver en ces lieux.
    Les représentants du sexe fort pénétraient dans un univers féminin avec une pointe d’appréhension. Celui-là plus que les autres.
    De son poste derrière la caisse, Mathieu demanda :
    — Je peux vous aider, monsieur?
    Le ton narquois accentua le malaise de l’autre.
    -Je. .
    Le son sortait à peine de sa gorge. Marie, son attention attirée par le grelot joyeux, se plaça prestement

    entre le nouveau venu et son fils. Le visiteur enleva son chapeau.
    — Elle se trouve en haut, murmura Marie en lui posant la main sur l’avant-bras.
    Le client risqua un autre regard en direction du caissier, puis se dirigea prestement vers l’escalier situé au milieu de la grande pièce. Quand les jambes disparurent de sa vue, le fils s’intéressa { une nouvelle cliente.
    A l’étage, Gérard Langlois chercha son amie, repéra bientôt Françoise, debout près de la fenêtre, une blouse dans les mains. Quand elle reconnut le nouveau venu, la vendeuse adressa un signe de la main à Thalie afin de lui confier sa cliente, puis s’approcha :
    — Tu ne devrais pas venir ici, commença-t-elle.
    — Ce n’est pas la première fois.
    La jeune femme se troublait, le rose envahissait ses joues.
    L’autre, son chapeau dans les mains, ne paraissait guère plus assuré. Après une longue hésitation, il demanda enfin :
    — Tu ne lui as pas parlé ?
    — Je ne suis pas capable. Je ne sais trop comment aborder le sujet.
    Au moment du rapatriement des soldats du 22e bataillon, l’hésitation de la jeune femme paraissait naturelle. Souligner le retour du vétéran par une rupture semblait cruel. Après de

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