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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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vite Amélie, qui accompagnait son père. La petite fille laissait la place à une très jolie adolescente blonde, aux yeux d’un bleu clair fort séduisant. Elle se dirigea vers le comptoir et salua d’une voix un peu intimidée :
    — Bonjour, Mathieu. Comment vas-tu ?
    — Comme tu vois, me voilà de nouveau vendeur de dentelles.
    Devant cette charmante personne au minois rieur, le sourire lui revint un moment. Il tendit la main. La visiteuse l’ignora et offrit plutôt sa joue. Impossible de se dérober. Le garçon posa une bise sur la peau d’un rose juvénile, et ce faisant, déplaça un peu le joli chapeau de paille.
    Marie surveillait la scène du coin de l’œil, heureuse de voir le voile de morosité sur le visage de son fils se lever un peu. Sans vraiment prêter attention à la réponse, elle demanda à son compagnon :
    — Mgr Bégin n’a pas prononcé lui-même le sermon ?
    — Malheureusement non. Vieux et perclus, au moins le digne prélat se serait montré un peu plus bref.
    Lui aussi surveillait sa cadette du coin de l’œil. La minaudière montrait toutes ses dents, comme si elle entendait tester ses charmes sur ce grand garçon mélancolique.
    — Ta présence doit faire augmenter la clientèle du magasin, remarqua-t-elle.
    Le compliment se révélait lourd de sous-entendus sur ses charmes virils.
    — L’été, les touristes se font plus nombreux. Cela ne tient pas au vendeur, tu le sais bien.
    — Oh ! Je suis sûre que si !
    — Ou alors, certaines dames viennent voir le caissier au gant unique.
    En disant cela, Mathieu leva sa main droite, agita ses doigts. Le majeur immobile paraissait un peu de guingois. Il le redressa de son autre main. Cette allusion rabattit l’humeur charmante de son interlocutrice.
    Marie chassa le malaise en disant à son fils :
    — Comme il ne reste plus que nous en ces lieux, verrouille derrière toi. Gertrude doit déjà avoir mis le couvert.
    Sur ces mots, elle offrit son bras à son compagnon et s’engagea dans l’escalier. Son fils engagea les deux verrous de la porte dans leur logement, puis il baissa la toile de la fenêtre découpée dans la partie supérieure de celle-ci.
    Quand il se retourna, Amélie se tenait tout près. Le rose aux joues, elle mima le geste de la propriétaire des lieux. Le garçon accepta de prendre le bras en souriant. Alors qu’ils atteignaient le premier étage, elle reprit :

    — Aucune femme ne remarque le gant. Si tu ne le portais pas, elles ne verraient pas le doigt.
    — Evidemment, il n’est plus l{ !
    — Idiot, tu m’as très bien compris.
    Elle marqua une pause. Au moment où son compagnon se dérobait pour la laisser entrer dans l’appartement, elle chuchota encore dans un souffle :
    — Elles regardent les yeux. Tu es vraiment le seul à faire toute une histoire de ce doigt perdu.
    Cela se pouvait bien. Des vétérans manchots ou unijambistes promenaient sans vergogne leur moignon dans une manche ou dans une jambe de pantalon vide. Lui bourrait d’ouate un doigt de son fameux gant, pour faire illusion.
    Gertrude ne s’était guère mise en frais pour ce repas sur le pouce. Tous les convives rejoindraient les terrains de l’exposition assez tôt dans l’après-midi. Des viandes froides et une salade suffiraient à les sustenter. Réunis dans la salle à manger, les Picard et les Dubuc formaient une famille nombreuse, où la domestique incarnait un peu le rôle de l’aïeule revêche.
    Afin de rompre le silence oppressant, Thalie demanda bientôt :
    — Monsieur Dubuc, je ne suis pas allée chercher le Chronicle ce matin, et Le Soleil ne paraît pas le jour de la Saint-Jean. Pouvez-vous me confirmer les résultats de l’élection tenue hier ?
    — Nous avons gagné.
    Un large sourire éclaira le visage du politicien. Les élections provinciales, tenues la veille, avaient permis de reporter au pouvoir les libéraux et leur chef, Lomer Gouin.

    — Cela ne doit pas être une surprise pour toi ou pour tes collègues, commenta Marie dans un sourire. En diabolisant les conservateurs, { l’origine de la conscription, vous leur enleviez toute chance de faire élire leurs candidats.
    — Mais ce sont vraiment les responsables de cette loi !
    — Ainsi que des mesures d’exemption qui ont rendu la loi totalement inefficace, commenta Mathieu. Partout au Canada, une large majorité des appelés a pu se dérober à son devoir.
    La présence d’un vétéran dans la maison désamorçait un peu le discours

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