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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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conclure avec un sourire amer :
    — Je suis devenu un vrai casse-pied ! Je m’excuse. Mais la frustration de ces héros de la Grande Guerre, mêlée aux discours de chefs ouvriers un peu trop pâmés sur Lénine et Trotski, nous réserve peut-être de mauvaises surprises.
    Marie décida de verser du thé dans les tasses, au moment où Gertrude, médusée, allait chercher un plateau chargé de biscuits dans la cuisine. La conversation ne reprit pas vraiment.
    — Si nous voulons voir un bout de cette fameuse parade, conclut la maîtresse de la maison, mieux vaut nous mettre en route immédiatement.

    Les convives l’imitèrent tout de suite, heureux de cette diversion. Elle continua, cette fois { l’intention de sa domestique :
    — Es-tu certaine de ne pas vouloir nous accompagner?
    — Si ces beaux messieurs de la Société Saint-Jean-Baptiste avaient voulu me faire voir leurs chars, ils les auraient fait passer par la rue de la Fabrique, sous nos fenêtres. Tant pis pour eux, jè n’irai pas me planter debout sur un trottoir pendant une heure avec ma patte folle.
    — Nous prendrons un taxi, pour aller et revenir.
    Gertrude ignora la précision, tellement elle comptait apaiser ses inquiétudes, à la suite des paroles entendues, en lavant la vaisselle.

    Chapitre 4

    — Ce monsieur semble être un très bon médecin ! s’exclama l’homme en entrant dans une antichambre bondée.
    Agé de vingt-huit ans, le nouveau venu présentait bien, dans son léger complet en lin d’un beau gris pâle. Son canotier un peu incliné sur l’œil gauche lui donnait l’air d’un touriste.
    — C’est le meilleur, monsieur Picard, ricana l’un des autres patients en reconnaissant le nouveau venu.
    Un homme entre deux âges sortait du bureau de consultation, un sourire sur les lèvres, une petite feuille de papier à la main.
    — En plus, cela lui prend une minute pour rédiger la meilleure prescription possible, continua le même loustic.
    Sourire en coin, Edouard prit sa place dans la file.
    Malgré l’affluence, inutile de chercher une chaise dans la salle, le praticien les avait fait disparaître afin de faire de la place. L’attente ne serait pas bien longue. Des hommes, âgés entre vingt et quatre-vingts ans, entraient dans une pièce, souvent sans se donner la peine de fermer la porte derrière eux, pour ressortir bien vite.
    Après vingt minutes, ce fut son tour. Le vieux médecin leva à peine les yeux de son bureau au moment de demander :
    — Ce sera la même chose ?
    — Du cognac sera parfait, docteur Couture.
    L’autre releva tout { fait la tête en entendant prononcer son nom.

    — Ah ! Le jeune Picard ! Mes condoléances pour votre père. Je n’ai pas encore eu l’occasion. .
    — Je vous remercie. Je sais, nous sommes bien peu de chose entre les mains du Seigneur.
    Plusieurs semaines après le décès de Thomas, Edouard se lassait d’entendre ces propos dans la bouche de parfaits inconnus. Dans celle d’un homme dont il ne gardait pas le meilleur souvenir, cela lui semblait plus déplacé encore. Ce médecin avait fréquenté le domicile de la rue Saint-François toutes les semaines, vingt-cinq ans plus tôt, afin de visiter sa mère malade.
    Le praticien se le tint pour dit. Un instant plus tard, il tendait une prescription portant les mots « deux bouteilles de cognac » en annonçant :
    — Ce sera un dollar.
    Passé soixante-dix ans, le généraliste venait de découvrir une source de revenus merveilleuse, meilleure que les filons du Klondike. La prohibition faisait une exception pour l’alcool utilisé à des fins «sacramentelles, mécaniques ou de santé». Les curés trouvaient donc leur vin de messe comme
    { l’habitude, les mécaniciens de quoi dégraisser des engrenages, et tous les autres un « cordial » susceptible de servir de panacée. A ce prix, pour des consultations d’une durée d’une minute tout au plus, l’homme se préparait une retraite dorée.
    Un moment plus tard, Edouard emboîtait le pas à une petite troupe afin de se rendre rue Dalhousie, à quelques minutes de marche du bureau de consultation. Dans le Chronicle du matin, Jean-Baptiste Letellier annonçait avoir obtenu de nouveau sa «
    licence » pour vendre des alcools. L’encadré rappelait la nécessité de présenter un certificat signé par un médecin.
    Au 92, Dalhousie, le patient fit de nouveau la file. Cette fois, la queue s’allongeait jusque sur le trottoir. À la place de l’un de ses employés

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