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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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deux: à ses yeux, le pauvre Fernand se trouvait doublement puni.
    — Madame Picard, je comprends combien la situation peut vous faire souffrir. Je vous demande d’offrir cette souffrance à Dieu, pour le salut de votre âme.
    Au moins, le religieux n’avait pas dit «pour le rachat de vos fautes».
    — Vous avez la chance d’habiter dans une grande maison, continua-t-il, et d’avoir trois enfants en excellente santé. La Providence se montre généreuse pour vous.
    — Mais sa maîtresse vit sous le toit familial. Le Code civil ne tolère pas cela.
    — La loi vous autorise à réclamer une séparation de corps. Souhaitez-vous vraiment aller étaler votre vie devant un tribunal ?
    Avec un autre ton et en poursuivant un autre but, le chanoine reprenait les arguments de Fernand, quelques mois plus tôt. Ce genre de cause amènerait une confession sur la place publique. A la fin, jouer le rôle de la femme bafouée, digne dans sa misère, valait peut-être mieux que révéler une naissance illégitime survenue l’année suivant sa sortie du couvent. De fait, elle avait été engrossée à peine deux mois après avoir quitté les ursulines.
    — Madame, reprit le prêtre après un long silence, si vous voulez bien, nous allons prier tous les deux afin de demander à Dieu de nous éclairer de sa sagesse.
    Les mains jointes dans son giron, elle assuma difficilement cette reddition.

    *****

    Les visites de bon voisinage entre les marchands de la rue Saint-Joseph demeuraient cordiales, quoique accompagnées d’un
    pincement
    au
    cœur.
    Ces
    entrepreneurs
    se
    livraient à une compétition farouche. Quand les affaires tournaient au ralenti, il devenait difficile de se montrer affable.
    A deux portes de la sienne, Edouard pénétra dans le magnifique bâtiment du fourreur Laliberté. Les fenêtres circulaires et le revêtement en pierre abondamment décoré attiraient les regards depuis le trottoir.
    Le jeune homme monta directement au dernier étage, déclara à la secrétaire de faction :
    — Le patron est-il bien occupé ?
    — Monsieur Picard, comment allez-vous ?
    — Très bien. Je regrette toujours de ne pas vous avoir à mon emploi, mais j’essaie de m’en sortir sans vous.
    — Voyons, Flavie ne vous déçoit certainement pas.
    La toute petite coterie des secrétaires de direction cultivait des relations amicales.
    — Je voulais juste vous flatter un peu. Je suis heureux de mon personnel.
    Tout en échangeant ces menus propos, la jeune femme s’était levée pour frapper à la porte de son employeur.
    Depuis l’embrasure, elle demanda :
    — Je m’excuse. Pouvez-vous recevoir monsieur Picard ?
    — Oui, oui, faites-le entrer.
    En pénétrant dans la grande pièce, Edouard s’arrêta pour contempler la vitre circulaire de la fenêtre en ogive la plus proche, admiratif, puis il tendit la main à son collègue.
    — Tu viens m’apprendre que tu renonces { vendre des manteaux de fourrure.
    — Désolé, mais je vends un peu de tout, c’est la nature de mon entreprise.
    L’autre lui désigna un siège près d’une table basse, puis s’installa en face de lui.
    — Alors, { part le plaisir de me voir, qu’est-ce qui t’amène ? demanda Laliberté.
    Dans la quarantaine, il portait bien son embonpoint.
    Penché un peu vers son interlocuteur, il lui donnait toute son attention.
    — Tu as entendu parler de l’intention de Lavergne de se présenter dans Québec-Est ?
    — J’ai pris cela pour une mauvaise blague. Dieu nous préserve de cet énergumène. Mais il n’a aucune chance.
    Avec ces derniers mots, le commerçant tentait de se rassurer lui-même.
    — Te souviens-tu des assemblées sur la place du marché Montcalm ou du marché Jacques-Cartier, près d’ici? Il demeure très populaire chez les travailleurs.
    — Je me souviens aussi que d’habitude, tu te trouvais {
    deux pas derrière lui.
    — ... J’étais jeune.
    Edouard rougit presque à cette allusion à un passé récent. Son interlocuteur avait des enfants, il lui pardonna d’un sourire cet engouement bien imprudent.
    — Cela prendra un candidat solide pour le contrer, continua le visiteur, rassuré. Il ne faut pas une simple victoire, mais une domination écrasante. C’était le fief de sir Wilfrid.
    — C’est certain que le petit Drouin ne fait pas vraiment le poids. Mais le Parti libéral ne le laissera pas se présenter.
    Arthur Lachance va lui damer le pion. Le bonhomme a passé son tour en 1917, l’organisation lui doit

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