Les héritiers
envie ?
— Je suis ici pour présider le lancement de l’investiture.
Vous connaîtrez la liste des candidats dans quelques minutes.
— Mais vous-même. .
Plusieurs personnes cherchaient à poser la même question.
Bâti comme un colosse, le politicien avançait malgré l’affluence, remorquant son épouse tant bien que mal. A la fin, il atteignit le bord de l’estrade. Un nuage de politiciens remplaça celui des représentants de la presse.
Après de multiples poignées de main, Ernest Lapointe monta sur la scène, commença de sa voix de stentor, celle qui lui permettait de dominer les assemblées en plein air à Rivière-du-Loup :
— Mesdames, messieurs. .
A la surprise de la plupart des spectateurs, Arthur Lachance vint le rejoindre sur l’estrade. L’orateur fit semblant de se troubler.
— Pardon. . commença-t-il. Je m’excuse de ces manières cavalières, mais je veux parler un moment à nos amis.
Bon prince, le député se recula d’un pas. L’importun déclara :
— Mesdames, messieurs, vous le saviez, je devais annoncer aujourd’hui mon intention de me présenter {
l’investiture libérale dans Québec-Est. Depuis le grand rendez-vous d’Ottawa, une conviction a grandi en moi, et tout { l’heure, mon devoir s’est imposé { mes yeux. Je veux proposer la candidature de notre ami Ernest Lapointe. .
Une salve d’applaudissements naquit dans un coin de la salle, pour se répandre à une vitesse rassurante.
— Nous savons tous que monsieur Lapointe a été le plus fidèle appui du regretté sir Wîlfrid. Il est l’héritier naturel du grand homme.
Cette fois, des hourras s’ajoutèrent aux applaudissements.
Pendant
plusieurs
minutes,
il
fut
impossible
à
l’avocat de poursuivre.
— Vous avez de la chance, déclara Edouard dans l’oreille de Taschereau. Vous allez conserver votre avocat de la Couronne.
Lachance travaillait comme substitut du procureur général de la province. Le ministre rétorqua :
— Pour un temps seulement. Le bonhomme sera certainement récompensé pour son second beau geste.
C’est curieux tout de même : le point culminant de sa carrière politique sera d’avoir su céder sa place au meilleur moment.
Il avait raison, l’arrivée au pouvoir des libéraux lui vaudrait bien vite une nomination de juge. Lachance continua quand l’assistance cessa ses acclamations.
— Si j’interprète bien votre réaction, vous tenez tous {
appuyer ma proposition.
Le vacarme reprit aussitôt. Ernest Lapointe jouait assez mal la surprise et l’émotion.
— Monsieur, reprit l’avocat, comme vous voilà candidat, le mieux est de prendre place sur cette chaise. Je continuerai d’animer la mise en candidature { votre place.
Le député fit comme on le lui disait.
— Maintenant, quelqu’un d’autre souhaite-t-il se porter candidat ?
— Je propose monsieur Oscar Drouin ! clama un jeune libéral.
Edouard reconnut l’un de ses anciens camarades du mouvement de contestation de la conscription. Le nouveau candidat s’approcha de la scène sous des applaudissements polis.
Au
moment
de
rejoindre
le
nouveau
maître
de cérémonie, il promena son long visage triste sur l’assistance.
— Monsieur Drouin, acceptez-vous de vous porter candidat ?
— . . Oui.
La voix manquait d’assurance, comme s’il hésitait encore.
— Allez vous asseoir à côté de votre collègue.
Les deux compétiteurs se serrèrent maladroitement la main.
— D’autres personnes souhaitent-elles se présenter?
Un long silence lui répondit. Après une minute d’attente, Lachance reprit :
— Nous allons donc entendre les deux candidats présenter leur
programme.
Mais
auparavant,
j’invite
monsieur
Lavigueur { s’adresser { nous.
Pour un homme arrivé { la présidence de l’assemblée de mise en candidature par accident, l’avocat paraissait très bien préparé. Dans la salle, Edouard se pencha vers l’épouse de Lapointe pour lui dire :
— Nous avons une place pour vous à cette table. Me permettez-vous de vous offrir quelque chose à boire ?
— Je prendrais bien un café.
Il l’escorta vers son siège, puis se rendit près d’un comptoir placé près d’un mur, pour en rapporter la boisson chaude.
— Je vous remercie, monsieur Picard.
Emma Pratte offrait un visage à la fois régulier et placide.
Dans la trentaine, mère d’une fille de neuf ans et d’un garçon de huit ans, elle incarnait très bien l’épouse capable
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