Les héritiers
fois réunis dans un salon du Château Frontenac. Edouard ressentait cette fois un certain malaise de se trouver l{. Il avait l’impression de tendre un guet-apens à son vieil ami.
Armand Lavergne arriva { l’heure dite. Un long moment, il s’arrêta en face de la longue table autour de laquelle se tenaient
Henri
Lavigueur,
Arthur
Lachance,
Charles
« Chubby» Power, Louis-Alexandre Taschereau et d’autres élus du Parti libéral, tant au provincial qu’au fédéral.
— Monsieur, commença le maire Lavigueur, nous avons appris avec une certaine surprise votre désir de vous présenter sous nos couleurs dans le comté de Québec-Est.
— Mais pourquoi donc? J’ai commencé ma carrière politique au sein du Parti libéral, avec la protection de notre cher Laurier. Et si j’ai siégé parfois comme indépendant, je suis resté fidèle aux principes libéraux.
— L{, vous m’étonnez. En 1911, n’êtes-vous pas allé à Ottawa dans un wagon privé pour discuter de votre avenir au sein du Parti conservateur avec Robert Borden ?
Un court moment, le flamboyant agitateur avait rêvé de devenir le lieutenant de langue française du nouveau premier ministre. Il avait déchanté très vite.
— J’ai tenté cela en 1911. D’autres libéraux ont fait la même chose en 1917, en pleine crise de la conscription.
Aujourd’hui, ces gens-là sont revenus à leurs premières amours et rêvent d’un siège au cabinet.
Lavergne ne pouvait se défaire de son ton gouailleur, même en cette circonstance. Il rendait plus facile la décision de ses interlocuteurs.
— Monsieur King exige au préalable que vous signiez ceci.
Lavigueur lui tendit une feuille de papier. Lavergne lut les premières lignes : «Je m’engage sur l’honneur { demeurer fidèle au chef du Parti libéral. .» On voulait le voir jurer fidélité à King par écrit, s’engager non seulement { respecter toutes ses décisions, mais aussi à ne jamais contester le moindre article du programme.
— Il revient aux membres du parti de choisir le candidat de leur choix, pas au chef. . ou à ses collaborateurs.
— Les prétendants { l’investiture dans Québec-Est devront s’engager sur l’honneur de cette façon.
— Et les candidats dans les autres comtés ?
— Sans exception.
Dans les faits, cette précaution ne s’imposerait que très rarement.
— J’ai toujours été un homme libre. Je ne ferai pas de politique avec une laisse autour du cou.
L’homme tourna les talons et quitta la pièce en pliant soigneusement la feuille de papier pour la ranger dans la poche intérieure de sa veste. Parmi ses souvenirs, elle s’ajouterait { la pierre reçue { la tête lors de l’assemblée de 1907 dans Saint-Roch.
*****
Parfois, un scénario très étudié donnait une allure spontanée à des événements politiques. Le lancement de l’investiture dans Québec-Est
devait
se
dérouler
en
dehors
de
celui-ci, une entorse bien curieuse aux usages. D’un autre côté, les ors de la grande salle de bal du Château Frontenac procuraient un cadre idéal au début d’une interminable campagne qui se terminerait avec le rendez-vous électoral prévu au plus tôt pour 1921.
Edouard remarqua avec plaisir la présence de caméras de cinéma. Les actualités filmées présentées avant les programmes rendraient compte de ses débuts dans le monde politique. Des reporters des divers journaux, pour la plupart inféodés au Parti libéral, bourdonnaient dans la pièce. Une estrade aménagée à une extrémité permettrait aux notables de s’offrir { la vue de tous.
— Quelle merveilleuse mise en scène, ricana Louis-Alexandre Taschereau.
Depuis la convention tenue à Ottawa, le marchand considérait son compagnon avec une certaine méfiance. Le ministre provincial avait louvoyé jusque-là en promettant sa fidélité à la fois à Lapointe et à Gouin. Les événements récents ne l’autorisaient pas encore { afficher un choix définitif.
— Ne soyez pas si cynique. Nous ne pouvons encore rien tenir pour acquis.
Un brouhaha se produisit { l’entrée de la grande salle.
Le député de Kamouraska venait de faire son entrée, son épouse Emma pendue à son bras. Edouard se rapprocha pour aller l’accueillir. Très vite pourtant, flairant la nouvelle, les journalistes se massèrent autour du nouveau venu, lui bloquant le chemin.
— Monsieur Lapointe, hurla un gratte-papier du Soleil, le comté de Québec-Est ne vous fait pas
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