Les héritiers
d’offrir un appui soutenu et compétent à son compagnon.
— Vous savez, continua le jeune homme, nous nous sommes demandé si vous accepteriez de vous déplacer à Québec. Nous savons combien vous êtes attachée à Rivière-du-Loup.
— Mon frère dirige la succursale de la Banque canadienne nationale de cette ville, ma mère y habite, expliqua-t-elle. Je ne veux pas me couper de mes racines. Mais à ce sujet, sir Wilfrid fournit aussi le parfait compromis.
— Que voulez-vous dire ?
— Pendant quarante ans, il a été député de Québec-Est, il a eu sa maison familiale à Arthabaska et une demeure de fonction à Ottawa.
— Vous entendez donc répéter le même scénario, avec une variante : Rivière-du-Loup.
Elle acquiesça d’un signe de la tête alors que, sur l’estrade, le maire de Québec s’agitait en rappelant l’épouvantable gâchis de la gestion de l’effort de guerre par Borden.
Comme Laurier, Lapointe se proposait d’être un député absent de son comté. Son interlocutrice suivit très bien le cours des pensées de son interlocuteur.
— Vous croyez que ce compromis fera problème ?
demanda-t-elle.
— Pas du tout, surtout si quelqu’un s’occupe de maintenir la flamme dans le comté. Je suis tout disposé à être celui-là.
— Comme votre père l’a été.
Il acquiesça d’un geste de la tête, puis ajouta avec un sourire :
— Mais monsieur Lapointe va devoir s’éloigner un peu du confort douillet du Château Laurier.
Depuis des années, le politicien résidait dans ce grand hôtel pendant la session parlementaire.
— Je suis certaine qu’il saura se passer des longues conspirations dans le fumoir.
— Si c’est pour rejoindre sa famille, je n’en doute pas.
Elle accueillit la flatterie d’un sourire, puis porta son attention sur la scène. Après des discours assez brefs, les vedettes du parti laissèrent les candidats s’adresser { l’assistance.
Drouin amena des sourires crispés { l’auditoire en rappelant un peu trop lourdement les drames causés par la répression des émeutes de la conscription. Ernest Lapointe s’approcha ensuite { l’avant de l’estrade.
— Mesdames, messieurs, je suis extrêmement touché de la confiance que vous me faites en acceptant ma présence dans cette course { l’investiture. D’un autre côté, je me sens déchiré. Voilà seize ans que les électeurs de Kamouraska m’accordent leur appui. .
Edouard adressa un regard interrogateur à sa voisine.
Elle le rassura d’un sourire entendu. Les choses suivaient le cours déterminé dans les officines libérales.
*****
Tous les après-midi, et toute la journée le samedi, Mathieu gagnait les bureaux du procureur général { l’étage de la bibliothèque
de
l’Assemblée
législative.
Après
les
difficultés des premières semaines, l’avalanche de lettres {
classer ne le prenait plus au dépourvu. Il s’était donné une méthode de travail efficace. Maintenant, il se désolait pour une seule raison : un emploi de ce genre lui en apprenait beaucoup sur les mœurs de ses concitoyens, mais assez peu sur le droit.
Le vendredi 10 octobre, absorbé dans la lecture d’une missive dénonçant la présence d’un alambic clandestin dans une paroisse de la Mauricie, il n’entendit pas le visiteur entrer dans son bureau.
— Vous voilà passionné par un grand crime, sans doute, fit une voix.
Le stagiaire sursauta en levant la tête, rougit un peu de se faire surprendre ainsi :
— Une histoire de fabrication d’alcool de contrebande, monsieur Lachance.
— Les gens de la province ont toujours fabriqué des boissons, remarqua le substitut du procureur. Après tout, le whisky écossais est inaccessible pour la majorité des gens.
— Surtout à notre époque.
Mathieu obtenait sans frais une prescription de son voisin du dessus, à la pension. Mais les très rares comptoirs de vente pratiquaient des prix exorbitants.
— Et à notre époque, comme vous dites, poussés par les curés, les « secs » surveillent leurs voisins et transforment les bouilleurs en criminels. Ces causes encombrent les tribunaux.
Dans la province, après avoir désiré se sanctifier afin de hâter le retour à la paix, la population déchantait. La prohibition de la vente de l’alcool ne privait pas réellement les ivrognes de leur poison quotidien, mais elle empêchait les honnêtes citoyens de se détendre un verre à la main après une longue journée de labeur.
— Je
Weitere Kostenlose Bücher