Les héritiers
accueille raient un millier de spectateurs, les autres occuperaient les gradins.
— Me trouver dans une assemblée de ce genre me trouble un peu, confia Flavie à son compagnon.
— Tu as le droit de vote, tu es autant à ta place ici que n’importe lequel de ces hommes.
— Cela ne signifie pas que je me sente la bienvenue pour autant. D’ailleurs, regarde, nous ne sommes pas bien nombreuses.
Mathieu posa un regard circulaire sur les gradins. Les femmes représentaient tout au plus un dixième de l’assistance.
Les
assemblées
politiques
tramaient
une
réputation
sulfureuse. Les hommes y buvaient souvent sec. Même en période de prohibition, les candidats distribuaient des flacons afin de cultiver les solidarités. Certains murmuraient même au sujet de la présence de femmes de mauvaise vie.
Dans le quartier Saint-Roch, la violence marquait toujours les activités de ce genre. Cela devenait une curieuse tradition. L’absence de toute bagarre décevrait sans doute la moitié des jeune gens présents.
— Mais moi, je suis très heureux de ta présence.
Elle le remercia d’un sourire, puis porta son attention sur l’estrade.
— Edouard Picard paraît tellement satisfait de se trouver sur la scène, remarqua-t-elle bientôt.
— Pendant des années, il a joué ce rôle auprès d’Armand Lavergne. La mort de son père lui a permis de passer dans la cour des grands.
— La femme avec lui, ce n’est pas son épouse.
— Il s’agit de madame Lapointe.
— Vous connaissez la femme de mon patron ?
Si l’intérêt de sa compagne pour la vie conjugale de son employeur l’agaçait, Mathieu n’en laissa rien paraître.
— Je l’ai vue une fois seulement, le jour de son mariage.
— Elle ne vient jamais au magasin. C’est curieux. Selon mes collègues, du temps de monsieur Thomas, sa femme passait régulièrement. Les jours de fête, ou alors au pique-nique annuel, elle s’efforçait de parler { tout le monde.
— Ma tante Elisabeth se fait un devoir de bien s’entendre avec tous ses semblables. Si tu acceptes un jour de passer à la maison de chambres, je te la présenterai, tu jugeras par toi-même.
Le sujet revenait parfois entre eux. Non seulement Flavie ne le recevait pas dans le salon de sa propre pension, mais elle refusait de se rendre chez lui. Selon elle, « ces choses ne se faisaient pas». Leurs sorties se limitaient au cinéma, aux promenades bras dessus, bras dessous et à de rares repas au restaurant.
— Peut-être, si le hasard me met en sa présence.
Cela risquait peu de se produire. Sur l’estrade, il y eut bientôt de l’animation. Le docteur Béland devait être le premier à prendre la parole. Il s’avança tête nue, commença d’une voix forte :
— Mes très chers amis. .
L’homme profitait d’un curieux titre de gloire. Au moment du déclenchement de la guerre, le hasard l’avait trouvé en Belgique, lui qui convolait en justes noces avec une femme de ce pays. Saisi dans la tourmente, il avait passé des mois dans les geôles allemandes. Libéré quand l’ennemi avait voulu faire des gestes de bonne volonté afin d’entamer des pourparlers de cessez-le-feu, il parcourait le pays depuis afin de prêcher le caractère légitime de la cause alliée et la paix entre les deux peuples fondateurs du Canada. Surtout, avec une faconde peu commune, il racontait les péripéties de sa captivité.
Ce soir, le second sujet retint surtout l’attention de l’orateur. Pour tous ceux qui se souvenaient des envolées oratoires d’Armand Lavergne, son talent compensait un peu. Il termina son discours en clamant:
— Jamais un Canadien français digne de ses origines ne fera partie du gouvernement d’union. Notre seule chance en tant que peuple, c’est de participer de toutes nos forces à la renaissance du Parti libéral, sous la direction de notre nouveau chef, William Lyon Mackenzie King.
Ce nom déclencha une salve d’applaudissements. Le maître de cérémonie, Napoléon Drouin, un ancien maire de la ville de Québec, appela ensuite les députés libéraux de la région à se succéder sur les planches, afin de fustiger l’administration du gouvernement de Borden.
Arthur Lachance vint de nouveau affirmer son désir de céder sa place à Ernest Lapointe « dans le grand comté de Québec-Est, fidèle pendant des décennies au plus renommé des Canadiens français, sir Wilfrid Laurier». Oscar Drouin, l’objet de toutes les pressions depuis deux jours,
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