Les héritiers
{ souffrir mon corps gros et gras sur son ventre. Je ne la toucherai plus, cette perspective la réjouit.
Le vieil homme serra les dents devant une allusion aussi claire à la sexualité.
—Je me suis aussi permis de lui révéler ce que je savais. . sur sa faute. En quelque sorte, un péché neutralise l’autre.
— Tu as trahi le secret d’un client, déclara le père sur le ton de la réprimande. Thomas Picard méritait plus de discrétion. Il a fait confiance à notre étude.
— Tu me permettras de te retourner le reproche. Tu m’as mis dans la confidence avant le mariage. Pas à titre de collègue dans ce cabinet, mais en tant que père désireux de m’éviter une mauvaise union.
Son vis-à-vis baissa les yeux. Lui seul devait assumer la responsabilité de cet accroc professionnel. Fernand le rassura d’un sourire, puis il continua :
— Je te remercie de l’avoir fait. Malheureusement, je ne t’ai pas écouté. Je le regrette aujourd’hui. Mais { mes yeux, la faute d’Eugénie n’est pas la grossesse, mais le fait de ne pas m’en avoir parlé, au moment de ma grande demande.
Cela, et cela surtout, aurait dû m’amener { abandonner l’idée de ce mariage.
Bien sûr, une confidence de ce genre aurait donné une base toute différente à leur union. Il laissa échapper un long soupir découragé. Impossible pour lui de réécrire sa propre histoire.
— Papa, tu ne m’as pas demandé une conversation en privé ce soir pour discuter de l’importance de préserver le secret professionnel.
— Je m’inquiète. Ta mère et moi comprenons ce qui se passe entre toi et la domestique.
— Nous vivons sous le même toit.
Fernand ne pouvait descendre un escalier sans faire craquer les marches sous ses pieds. Même Jeanne ne passait pas inaperçue.
— Cela ne pourra pas durer.. Avoir sous le même toit une maîtresse et une épouse.
Même à des gens infiniment moins religieux que ce vieil homme, pareille situation paraîtrait inadmissible.
— J’en suis bien conscient. Toutefois, tu sais combien Eugénie demeure froide envers ses propres enfants. Si Jeanne s’en va, qui s’occupera d’eux?
— Ta mère. .
C’était absurde. Elle avait du mal { monter et descendre un escalier. Le notaire laissa échapper un long soupir. Après une pause, il changea encore de sujet.
— Je ne suis plus vraiment capable de travailler.
— . . Voyons !
Le vieil homme leva les mains pour empêcher toute protestation inutile.
— Depuis des mois, tu prends prétexte de taper mes actes pour apporter des corrections.
Cette précaution lui permettait en effet d’éliminer de nombreuses erreurs, dont le nombre allait en s’accroissant.
— Tu vas prendre la relève. Je n’ai plus rien { t’apprendre, les clients gagneront au change.
Le fils songea un moment à protester, puis se ravisa.
— Tu pourras me conseiller sur les sujets les plus difficiles.
— Ce sera avec plaisir. Dans les circonstances, il te faudra songer { embaucher un clerc. Tu n’y arriveras pas seul, nous croulons sous la paperasse.
Fernand acquiesça. Comme il se chargerait désormais des rencontres avec les clients et de la rédaction des actes, quelqu’un devrait au moins s’occuper de les copier { la machine. Quand son père fit mine de se lever, il l’aida de nouveau, l’accompagna jusqu’au pied de l’escalier.
— Je vais monter sans aide. Cela demeure mon seul effort physique. Tu réfléchiras, au sujet de. . ta situation.
— Je ne fais que cela, réfléchir. Ma principale préoccupation demeure le bien des enfants.
Resté seul, le jeune homme éteignit toutes les lumières du rez-de-chaussée, sauf une petite lampe dans un coin du salon. Il déboucha ensuite la bouteille de whisky toute neuve pour s’en servir un verre bien tassé.
Ce nouveau développement l’affectait plus que de raison.
Même s’il abattait la majeure partie du travail et révisait les actes de son père, la présence du vieil homme le rassurait.
Dorénavant, il se trouverait au premier rang, prendrait toutes les responsabilités sans pouvoir s’en remettre à une autre personne.
*****
Près d’une heure plus tard, Fernand demeurait seul dans le salon, enveloppé par la demi-pénombre.
— Quelque chose ne va pas ?
La voix, venue de l’embrasure de la porte, le fit sursauter.
Jeanne se tenait là, discrète dans son uniforme noir. Au moins, débarrassée de sa coiffe blanche, il devenait possible d’oublier un peu sa
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