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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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doutait bien de cette présentation des faits, Edouard accusa difficilement le coup.
    — Je ne voulais pas du tout aller à la guerre, c’est vrai.
    Mais mon mariage ne tenait pas seulement à cela. Elle. .
    Evelyne me plaisait vraiment. Mais bien vite, je me suis rendu compte que nous n’avions rien en commun. Elle ne viendrait jamais à une manifestation de ce genre.
    — Vous le lui reprochez? Si j’étais plus riche, je me trouverais des loisirs plus. . raffinés, et moins odorants.
    Le couple se tenait devant un enclos contenant une demi-douzaine de porcs. L’homme trouvait « reposantes » ces activités, de même que les personnes qu’il y rencontrait. Au fil des ans, la Haute-Ville et ses manières hautaines lui pesaient de plus en plus.
    — Comme vous ne semblez pas apprécier ces animaux, voyons si vous ne les aimeriez pas mieux sous forme de côtelettes. Nous pouvons manger près du kiosque.
    — Je ne sais pas. . vous êtes mon patron.
    — Nous serons en plein air, à la vue de tous.
    S’afficher en public ne lui rendait pas la chose plus facile, bien au contraire. Elle se mordit la lèvre inférieure. A la fin, la perspective d’une soirée dans la solitude de sa chambre orienta sa décision.
    — J’accepte, mais je devrai rentrer tôt. Je travaille demain de bonne heure.
    — Moi aussi. Je n’arriverai pas plus tard que vous, et je viens de plus loin.
    À l’extérieur, tous les deux prirent une grande respiration pour se nettoyer le nez des effluves de porcherie. A table, pendant presque deux heures, ils discutèrent de tous ces petits sujets destinés { permettre { des jeunes gens attirés l’un par l’autre de se découvrir des intérêts communs. Un peu après sept heures, la jeune femme déclara en faisant mine de se lever :

    — Je dois rentrer.
    — Voyons, il est encore tôt. Il y aura un feu de joie tout à l’heure.
    — Le feu de joie aura lieu au début de la nuit. Je serai alors endormie depuis un long moment.
    — Je vous reconduis.
    Sans attendre sa réponse, Edouard régla le prix des limonades et des repas. Il lui tendait le bras de nouveau quand elle précisa :
    — Je vais rentrer seule. Votre voiture devant ma maison de chambres ferait trop jaser.
    — . . Dans ce cas, vous voudrez au moins m’accompagner jusqu’au stationnement.
    Elle mit sa main sur l’avant-bras, se laissa guider jusqu’{ un large espace { l’herbe pelée où des dizaines de véhicules s’alignaient.
    — Puis-je au moins vous offrir quelque chose avant de vous quitter ?
    Edouard ouvrit le minuscule coffre { l’arrière de la Ford pour révéler deux bouteilles d’alcool. Un panier d’osier contenait de la vaisselle, deux couverts et des verres, comme s’il se tenait sans cesse prêt { faire un pique-nique.
    — Monsieur Picard, je m’en veux de vous préciser les choses aussi crûment, mais tout doit être clair entre nous. Je ne m’appelle pas Clémentine, je n’ai aucune envie de revivre son histoire.
    Il fallait une bonne dose de courage à cette employée pour se risquer à une mise au point de ce genre. Des centaines de personnes
    cherchaient
    encore
    un
    emploi,
    des
    mois après la fin de la guerre. Et puis son patron pouvait lui faire une mauvaise réputation dans les commerces et les entreprises de toute la Basse-Ville. Sa colère lui vaudrait la ruine.

    — Voyons, je n’ai aucune intention. . de ce genre, protesta-t-il.
    — Tant mieux. Dans ce cas, vous ne serez pas déçu.
    Elle aurait pu dire plutôt: «Vous ne m’en voudrez pas. » D’un pas rapide, sans se retourner, la jeune femme se dirigea vers la rivière Saint-Charles afin de regagner le quartier Saint-Roch.
    En prenant place derrière le volant, Edouard laissa échapper quelques jurons bien sentis. Son mariage seul n’alimentait pas les conversations du commerce. La visite de la jolie blonde désespérée { l’étage administratif avait fait son effet deux ans plus tôt, de nombreuses personnes devaient avoir entendu ses éclats de voix.
    Bien sûr, Flavie avait raison. Il tentait de reproduire avec elle son aventure avec Clémentine : une épouse revêche dans la rue Scott devenait plus facilement tolérable avec une maîtresse complaisante dans un petit appartement discret.
    Il actionna le démarreur électrique d’un geste rageur.

    *****
Après une longue disette, Elisabeth retrouvait avec plaisir les romans français. Tout au long du conflit, le commerce du livre s’était tari. Les auteurs se

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