Les héritiers
fonction dans la maison.
— Je te verse un verre et je te raconte tout.
En quelques phrases, l’homme la mit au courant de la situation. De sa place habituelle sur le canapé, elle commenta :
— Ton père semble tellement fatigué. Il pourra enfin se reposer un peu.
— Cela me donnera un petit surcroît de travail. Je risque de retarder d’une autre année mon projet de vacances.
Comme beaucoup de ses voisins, Fernand rêvait de passer quelques semaines dans une grande maison paysanne donnant sur le fleuve. L’idée de longues marches sur la grève, de ses enfants profitant du grand air, le réconciliait avec les longues heures passées à se dépêtrer dans les arcanes du droit de la propriété.
— Tu ne devrais pas prendre le risque de nuire à ta santé.
Tu mérites du repos.
Lors de leurs tête-à-tête, le tutoiement s’imposait naturellement. Jeanne se trouvait assise tout contre le corps de son employeur, celui-ci parcourait toute la longueur de son dos du plat de sa grande main.
— Je sais bien. Mais je dois faire face à mes obligations.
Désormais, je serai seul pour faire fonctionner cette étude.
Elle découvrait que le travail revêtait diverses formes.
Rédiger des contrats et recevoir des clients entraînaient son lot de fatigue.
Des semaines plus tôt, pendant les jours suivant la scène d’Eugénie, Jeanne s’était sentie honteuse, souillée. Elle avait évoqué son désir d’aller travailler ailleurs. Puis elle s’était faite { l’étrange situation. Sa patronne cultivait une politesse froide, méprisante. Toutefois, elle n’osait plus formuler le moindre reproche.
Les verres vidés, le couple s’abandonnerait { certaines privautés. Puis, chacun regagnerait sa chambre.
*****
— Monsieur, monsieur ! Un grand malheur !
Fernand se dressa sur son séant, troublé par l’étrange rêve, un grand cri d’abord, puis des paroles { la signification incertaine. Il entendit des coups sur la porte. .
Il ne rêvait pas. Le temps de passer une robe de chambre, il ouvrit. La vieille domestique de ses parents, celle qui l’avait élevé, se trouvait l{, échevelée, les yeux en larmes.
— Monsieur.. votre père. . Venez vite !
Il lui emboîta le pas. La porte opposée à la sienne demeurait ouverte. Sous ses yeux s’offraient un lit défait et un homme couché de travers. Le vieux notaire reposait sur le dos, la bouche et les yeux ouverts. Pris d’un malaise au milieu de la nuit, il avait sans doute essayé de se lever. Cela expliquait les couvertures sur le plancher, le contenu de la table de chevet répandu sur le parquet.
Un bruit attira son attention. Sa mère sortait de sa propre chambre. Un peu sourde, le tapage de la domestique ne l’avait pas éveillée. Le fils se précipita en disant :
— Maman, attends-moi, je dois te parler.
*****
Le mercredi 25 juin, le commerce ALFRED reprenait sa routine habituelle. A ce moment de l’année, les bourgeoises de la Haute-Ville aimaient renouveler leur garde-robe avant de migrer vers les lieux de villégiature. Les touristes s’ajoutaient à cette cohorte de clients de la Vieille Capitale. Aussi, au cours de la journée, Mathieu ne trouva pas le temps de parler en tête-à-tête avec sa mère.
A la fermeture, il l’accompagna jusqu’{ la porte et demanda :
— Maman, veux-tu sortir un moment avec moi ?
— Gertrude. .
— Elle mettra les assiettes dans le réchaud en nous attendant. Ce ne sera pas la première fois.
La femme s’arrêta pour le regarder dans les yeux, puis donna son assentiment en hochant la tête. Un instant plus tard, elle verrouillait la porte derrière elle. Sans doute à cause d’une longue habitude, sans se concerter, ils se dirigèrent vers le parc Montmorency, trouvèrent un banc libre près du muret surplombant la Basse-Ville et le fleuve.
Marie semblait perdue dans ses pensées, alors que son fils ne savait trop comment aborder le sujet de ses préoccupations. A la fin, ce fut elle qui brisa le silence :
— La dernière fois que nous sommes venus ici, tu m’as annoncé ton intention de t’enrôler dans l’armée. Quel que soit ton projet aujourd’hui, cela ne pourra être plus dévastateur.
Alors dis-le-moi.
Les lèvres maternelles présentaient un sourire attristé.
Mieux valait mettre fin à cette tension.
— Je ne supporte plus le travail au magasin. Toutes ces femmes me regardent. .
— . . Pas plus qu’avant. Mais je suis d’accord avec toi: tu vas finir par
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