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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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du nez.
    — . . Faire cela forcerait ce pauvre homme à perdre encore une autre demi-journée.
    Elle parlait du notaire.
    — Ce pauvre homme gagne sa vie. Il ne te donnera pas une part de sa commission, si la transaction se fait plus rapidement que prévu.
    Elisabeth tenterait de retenir la leçon : les règles habituelles de la bienséance ne s’appliquaient plus. Mener des affaires la placerait sur un autre registre. Elle devrait compter, servir toujours ses propres intérêts.
    — Et si la maison se révèle en bon état ? demanda-t-elle encore.
    — Le notaire va-t-il examiner les chiffres ?
    — Je dois le voir à ce sujet lundi.
    — Pourras-tu payer comptant ?
    La question frôlait l’indiscrétion. Son interlocutrice choisit la franchise.
    — Oui.
    — J’étais dans la même situation en 1914, au moment d’hériter. Cela me plaçait dans une situation très sûre. A moins de commettre des erreurs grossières, je ne pouvais rater mon coup. Il en ira de même pour toi.
    — Mais tu possédais près de vingt ans d’expérience.
    Elisabeth se troubla un moment puis continua, rougissante :
    — Je ne sais rien faire.
    — Faux. Tu gères, ou tu gérais une maisonnée bourgeoise, tu employais deux domestiques, tu as reçu à ta table des marchands, des députés, des ministres.
    «Des premiers ministres, même», songea la grande femme. Au fil des ans, elle était devenue une hôtesse sûre de ses choix, de son intérieur et de sa personne. Elle précisa à haute voix :
    — Des occupations de bourgeoise. Toi, tu te tiens dans ton magasin tous les jours, tu t’occupes de la comptabilité, tu fais affaire avec des fournisseurs.
    — Justement, je dois retourner au magasin, fit observer Marie. Tu me rappelles { l’ordre. Ecoute, je ne peux pas te dire quoi faire. Si tu ne veux pas demeurer inoccupée, l’achat de cette grande maison de chambres me semble une bonne idée. Pendant six mois tu apprendras beaucoup de choses, tu dormiras mal la nuit, occupée à revivre ta journée en pensée pour traquer les erreurs. Ensuite, cela deviendra de la routine.
    Elisabeth se leva en disant:
    — C’est vrai, je t’accapare, alors que tu as { faire. Tu vois, je ne réalise même pas encore cela: mes voisines et moi gaspillons nos journées à papoter. Nous ne servons à rien.
    Son interlocutrice se leva aussi. Elle prit le bras de sa compagne.
    — Je suis prête { t’aider. Nous pouvons devenir de très bonnes amies. Sincèrement, je pense que tu peux y arriver..
    Après une brève hésitation, elle ajouta :
    — Et si ton projet se concrétise, j’aimerais te demander un service.
    — Ce sera avec plaisir.
    — Mathieu souhaite quitter le toit maternel. Il pourrait devenir ton premier client. J’aimerais que tu le surveilles discrètement. Le pauvre traverse une période difficile.
    Lors de quelques repas pris ensemble, Marie avait évoqué le mal de vivre de son aîné. Elisabeth exerça une pression de la main sur le bras de sa compagne.
    — Oui, sans faute. Curieusement, penser à lui comme à un client me paraît rassurant. Cela fera au moins un visage familier.
    Les deux femmes se firent la bise et se quittèrent sur un dernier au revoir.

    *****
    Après les funérailles du notaire Dupire, au moment de son retour à la maison, Elise demeurait toujours aussi troublée. Avant de retourner à son travail dans la salle d’attente de son père, elle passa par la cuisine afin de partager le repas des enfants.
    — Tu es allée voir la tombe de papa ? demanda Estelle.
    — Oui, je suis passé le voir.
    — Ce n’est qu’un grand trou noir et froid, commenta Pierre.
    Du haut de ses huit ans, le garçon entretenait un rapport rationnel avec le monde. D’un an son aînée, sa sœur préférait pourtant rêver encore un peu. Ce cimetière, elle l’imaginait comme le lieu d’une résidence secondaire plutôt agréable.
    — Ce n’est pas vrai, maman, n’est-ce pas ? plaida-t-elle d’une voix plaintive.
    — Cela dépend de notre façon de voir les choses. Le corps de Charles a été mis dans la terre.
    La fillette paraissait sur le point de se mettre à pleurer.
    Cela lui arrivait très souvent depuis l’automne précédent.
    — En même temps, près de sa tombe, comme nous pensons très fort à lui, nous sentons sa présence. Nous savons bien qu’il ne nous a pas laissés seuls.
    Estelle acquiesça silencieusement de la tête. Son frère eut le bon sens de ne pas exprimer à haute voix son

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