Les héritiers
scepticisme.
Un moment plus tard, Elise leur conseillait d’aller jouer dehors. Commencées depuis quelques jours, elle espérait que les grandes vacances d’été leur permettraient de retrouver la sérénité propre { l’enfance.
Sa mère avait entendu l’échange depuis la pièce voisine.
En se plaçant derrière elle, la femme lui posa les mains sur les épaules, esquissa un mouvement caressant.
— Cela fait huit mois. Les blessures se cicatriseront bientôt. Le temps se révèle un grand médecin.
— Je deviens aussi pessimiste que Pierre. Le temps nous conduira tous au cimetière Belmont. En ce sens, c’est vrai, il nous guérira de tous nos maux. Le trajet de Charles sur terre a malheureusement été très court.
La mère posa une main sur le front de sa fille pour ramener sa tête contre elle, elle l’enlaça un moment, trop émue pour tenter de formuler des paroles rassurantes. La veuve arriva à se ressaisir un peu.
— Je nous sers un peu de thé, puis je retourne prendre mon poste dans la salle d’attente. Papa est bien gentil de me laisser ainsi faire semblant d’être utile.
Elle tendit le bras pour prendre la théière, versa le liquide dans deux tasses.
— Ne sous-estime pas ton utilité, déclara la mère en s’asseyant sur la chaise voisine.
— Jusqu’{ cet hiver, personne n’a pris les appels, ou encaissé le prix des consultations, et son bureau fonctionnait rondement.
— Ton père s’en occupait. . ou moi. Maintenant, il voit quelques patients de plus tous les jours, et surtout, ceux qui abusaient autrefois de sa bonté règlent maintenant rubis sur l’ongle.
Le docteur Caron négligeait parfois de réclamer son dû aux personnes semblant les plus démunies. Heureusement pour lui, travailler dans la Haute-Ville raréfiait ces situations.
— Aujourd’hui, ricana Elise, plus personne n’ose partir sans payer la jeune et jolie veuve.
Sa situation émouvait les bonnes âmes.
— Tu sais qui j’ai croisé au cimetière? poursuivit-elle après une pause. L’ineffable Edouard Picard.
Sa façon de prononcer le qualificatif indiquait qu’il ne s’agissait pas d’un compliment.
— Cela est bien naturel. Ceux-là ont été de bons amis. .
Enfin, je veux dire les deux pères et les deux fils. Fernand se trouvait aussi souvent chez les Picard que toi, il y a une douzaine d’années.
— Tu as raison. A certains égards, Edouard n’a pas vraiment changé. Te souviens-tu ? Il m’a un peu fait la cour pendant l’été de 1908.
Non seulement la femme se souvenait, mais elle avait porté un regard un peu complaisant sur le jeune garçon.
Alors, elle le voyait comme un bon parti.
— Il a remis ça tout { l’heure, précisa la jeune femme.
— Que veux-tu dire ?
— Il a exprimé le désir de me rendre visite, les bons soirs.
— Voyons. .
La mère allait dire quelque chose comme : « Il voulait sans doute venir en toute amitié. » Le souvenir des rumeurs sur ses nombreuses conquêtes l’amena { déclarer plutôt :
— Il semble oublier un petit détail.
— Son mariage date de moins de deux ans, précisa sa fille, son fils doit à peine savoir marcher. Bon, je vais aller me rendre utile à papa.
Elle quitta la pièce en soupirant. Au passage, la jeune femme regarda par la fenêtre. Les deux enfants, la tête basse, se tenaient sur les balançoires.
*****
Un peu plus au nord, rue Scott, dans une salle à manger particulièrement austère, un repas se déroulait dans une atmosphère plus lugubre encore. Madame veuve Dupire, sa masse imposante dissimulée sous une avalanche de voiles noirs, regardait son assiette sans appétit.
— Tu dois manger tout de même, murmura son fils.
Evite de te laisser aller.
— Rien ne passera. Ton pauvre père. .
Elle renifla, des larmes coulèrent sur ses joues ridées.
Fernand regrettait aussi ce départ soudain, mais demeurait résolu { bien s’alimenter. Derrière lui, Jeanne se tenait debout dos au mur, les mains l’une dans l’autre afin de demeurer prête à satisfaire les désirs de ses patrons.
La vieille dame se tassa un peu de côté en laissant échapper :
— C’est inutile. . Apporte-moi un peu de thé très fort.
La domestique récupéra l’assiette et s’esquiva vers la cuisine. Eugénie se tenait le plus souvent coite en sa présence. Elle saisit l’occasion de son départ pour prendre la parole.
— Je ne prendrai plus de repas chez Edouard aussi longtemps qu’elle sera l{.
— Tu me
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