Les héritiers
avec des à-coups à chaque changement de vitesse.
Au moment de tourner à gauche dans la Grande Allée, Elisabeth le salua d’un signe de la main.
*****
Une demi-heure plus tard, le camionneur terminait de transporter les boîtes au premier étage de la maison de chambres de la rue Sainte-Geneviève. Elle lui donna un bon pourboire, ce qui lui mérita des salutations cordiales.
Avant de donner leur réponse définitive au projet de migrer avec elle, les deux domestiques avaient eu droit à une visite des lieux. Leur décision de la suivre s’en trouvait mieux fondée.
— Cette grande maison vide semble un peu lugubre, commenta la cuisinière.
— L’arrivée des locataires amènera un surcroît de gaieté, je suppose, et de travail.
— Nous verrons bien. En attendant, je vais préparer le repas.
La nouvelle propriétaire avait passé la matinée à faire des courses afin d’approvisionner le garde-manger et la glacière.
— Je vais monter ta valise pour toi, offrit la jeune bonne à sa collègue.
— Et moi, commencer à défaire mes boîtes, conclut la patronne.
Pendant une heure, Elisabeth plaça ses livres sur les étagères dressées dans la suite de pièces réservées à son usage personnel. En terminant une heure plus tard, elle constata :
«Voilà un bien petit royaume.»
Depuis son premier soir dans la maison de Thomas, en 1896, jamais de pareilles émotions ne s’étaient bousculées en elle. Un petit choc contre la porte attira son attention.
—- Oui, entre.
— Madame, dit Julie en passant la tête dans l’ouverture, le repas est prêt.
— Je descends avec toi.
Un instant plus tard, elle passait la porte de la salle à manger. Son couvert, à un bout de la longue table capable de recevoir quinze personnes, lui parut tout de suite déprimant.
Elle le récupéra, pénétra dans la cuisine en admettant, un peu penaude :
— Ce soir, je ne veux pas manger seule. Je peux me joindre à vous ?
— Bien sûr, répondit la cuisinière en déplaçant un peu sa chaise pour lui faire de la place.
Au même moment, quelqu’un frappa { la porte. Julie alla ouvrir. Elle revint en tenant un bouquet de fleurs blanches, des roses.
— Une jeune fille vient d’apporter cela. Il y a une carte.
Elisabeth ouvrit la minuscule enveloppe pour en sortir un carton crème. Quelques mots d’une petite écriture bien nette lui mirent un baume au cœur : « Tu ne le regretteras pas, j’en suis certaine. Marie.»
« Comme c’est gentil », dit-elle à voix basse.
Curieusement, ce petit geste la rasséréna beaucoup. Elle prit place à la petite table avec ses employées pour manger d’un assez bon appétit.
*****
Le lendemain matin, Elisabeth se leva { l’heure habituelle, surprise de se retrouver dans un nouvel environnement. Cette fois, elle résolut de prendre son repas dans la salle à manger. Malgré la solitude, côtoyer les domestiques fausserait les rapports entre elles. Elle venait tout juste de regagner le salon quand un visiteur se présenta à sa porte.
Mathieu se tenait debout sur le trottoir, un peu mal à l’aise.
— Je suis désolé de vous déranger si tôt, surtout que vous êtes arrivée hier, je crois, mais je serais heureux de visiter la chambre. Selon maman, cela répondra à mes besoins.
— Entre donc. Je vais te montrer les lieux avec plaisir.
En réalité, la maison est bien grande pour moi toute seule.
Je serai heureuse d’avoir de la compagnie.
Elle s’effaça pour lui permettre de passer. Ils entrèrent d’abord dans le salon et la salle { manger. Pour monter, Elisabeth passa la première. Le jeune homme profita de son point de vue en contre-plongée pour apprécierla silhouette de sa tante. Séduisante, elle devait déjà habiter les rêves de quelques messieurs de son âge, ou plus vieux, célibataires ou non. Sous les combles, il commença par passer un long moment dans les deux pièces en enfilade.
— Les meubles sont un peu vieillots, admit la propriétaire des lieux d’une voix gênée. Puis le matelas me semble creux, au milieu.
— Si vous voulez vous en tenir au prix évoqué par maman, cessez de dire du mal de votre produit.
Elle rit de bon cœur avant d’admettre :
— Il me faudra faire attention.
— Cela vous viendra, croyez-moi. L’endroit me convient tout { fait. Si possible, j’aimerais m’installer dimanche prochain, en après-midi. Cela bien sûr si vous êtes là à ce moment. Je ne voudrais pas vous empêcher de
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