Les héritiers
avant mon mariage.
— Et tu as tout de même accepté. .
— Ce qui fait sans doute de moi un parfait imbécile.
Le notaire parlait à voix basse. Il agita un doigt pour imposer le silence, se leva doucement afin de se rendre à la porte pour l’ouvrir vivement. Son épouse se redressa très vite, offrant un visage pivoine.
— Même l’oreille collée { la serrure, tu n’entendras rien.
Ce bureau est construit pour celer les secrets professionnels.
Ne va pas te poster dehors près de la fenêtre, ce ne sera pas mieux.
Au risque de suer { grosses gouttes, je l’ai fermée tout { l’heure.
La femme s’esquiva très vite sans mot dire. Ses pas dans l’escalier produisirent le son d’une arme automatique.
Quand son hôte retrouva sa place, Edouard était suffisamment revenu de ses émotions pour demander :
— Te Pa-t-elle avoué ?
— Non. Mon père m’a montré ce contrat afin de me détourner de cette union. Je n’ai rien voulu entendre.
Une nouvelle pause lui permit de se remémorer ce moment de sa vie. Comme il regrettait, maintenant !
— Remarque, ce document est rédigé en termes très laconiques. Monsieur Picard payait une pension à Fulgence Létourneau pour l’entretien d’un jeune enfant. Il prétendait servir d’intermédiaire.
— C’était peut-être pour une autre histoire.
— Ne nie pas l’évidence. Ta sœur venait de disparaître pour son long voyage. Elle est revenue déprimée, un peu moins abrasive, ramollie même au point de m’accepter comme époux.
Fernand écarta les bras de son corps, comme pour signifier combien une pareille métamorphose lui demeurait encore incompréhensible.
— En fait, ce sont les récriminations de Fulgence Létourneau qui me forcent maintenant à te parler de cette histoire. Tu vois, mon père servait d’intermédiaire, maintenant c’est mon tour. Le tien versait la somme, le mien l’acheminait discrètement.
— Et depuis sa mort, la source s’est tarie.
Le tabellion hocha la tête en signe d’assentiment.
— Je suis tenu de payer à mon tour?
— Le contrat prévoit le versement d’un montant modique, que ton père a d’ailleurs porté { soixante dollars en 1914 de sa propre initiative, puis à quatre-vingts en 1918.
Si l’on tient compte de l’inflation des dernières années, ces augmentations ont été bien raisonnables. Tu vois les ajustements sur le contrat. Le paiement doit se poursuivre jusqu’{ ce que le garçon atteigne ses dix-huit ans. Il en a dix, aujourd’hui.
— Mais légalement, je peux me dégager de cette obligation.
La voix contenait une pointe d’impatience. Le frère ne semblait pas disposé { couvrir les fautes de sa sœur.
— C’est une dette d’honneur, en faveur d’un membre de la famille. Il s’agit de ton neveu, après tout. Je ne sais pas comment cela tournerait devant un tribunal. Je ne sais même pas si Létourneau voudra poursuivre. L’homme semble très attaché { l’enfant, il craindra peut-être de lui faire du mal en ébruitant cette vilaine affaire. Mais sa femme. .
Edouard paraissait perdu dans ses pensées. La soirée fatidique lui revenait en mémoire. Eugénie, désespérée, confessant sa situation, Elisabeth, malgré les horreurs dont la jeune fille l’accusait, offrant néanmoins toute son aide.
— Es-tu sûr que c’est son fils ?
— Il lui ressemble un peu.
Devant les yeux écarquillés de son visiteur, le notaire précisa :
— Je suis aussi curieux qu’un autre. Je me suis posté { la sortie de son école. Je l’ai reconnu sans mal.
— Sait-elle? Je veux dire, Eugénie connaît-elle l’existence de cet arrangement avec Létourneau, de la pension versée par papa ?
— Non. Tu as pu le constater, elle est curieuse. En conséquence, ce document ne quitte jamais mon coffre.
Pendant un long moment, Edouard demeura pensif.
— Mon cher employé Fulgence ne s’en doutera jamais, confia-t-il à la fin, mais cette situation vient de sauver son emploi. Je songeais à me passer de ses services.
— Continueras-tu de verser la somme due ?
— Même si je ne me sens aucune responsabilité dans cette histoire, je paierai.
— C’est un parent.
L’argument amena une grimace sur le visage du client.
— C’est étrange, expliqua-t-il, mais les liens du sang me paraissent peu de chose. Contrairement à Eugénie, je vois Elisabeth comme ma véritable mère. Et ma sœur se révèle si étrange que je me demande souvent si nous sommes
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