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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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toute une année, ce serait trop triste. Même pour les adultes, c’est un rituel bien cruel.
    En l’entendant, Pierre regarda le brassard noir { son bras. Cela faisait étrange, sur son habit de matelot. Le petit groupe suivit la rue vers le sud, jusqu’{ la Grande Allée. Ils attendirent un peu, le temps de laisser passer un tramway et deux voitures, puis ils traversèrent la chaussée afin de gagner le parc des Champs-de-Bataille. Pour la population de Québec, l’appellation « les Plaines » demeurait toutefois dans les usages.
    Les jeunes femmes constatèrent bien vite que de nombreux citadins
    entendaient
    aussi
    profiter
    de
    cette
    belle
    journée pour un dîner sur l’herbe. Elles trouvèrent cependant un espace un peu isolé, sous un arbre, où étendre une couverture grise prélevée dans un placard de l’appartement des Picard.
    En sortant les sandwichs de son panier, Elise demanda :
    — Vendredi, tu disais à mon père avoir terminé sans mal ta première année { l’Université McGill. Tout se passe bien, alors ?
    — Après des débuts un peu difficiles, les choses sont rentrées dans l’ordre. Quelques messieurs font semblant que ma collègue et moi n’existons pas. Les autres se sont habitués, notre présence leur semble normale.
    — Et les études elles-mêmes? Cela doit être difficile. .
    Elle marqua une pause, puis ajouta :
    — Je ne veux pas être indiscrète. Si tu préfères ne pas répondre, cela me convient.
    Ce fut au tour de l’étudiante de marquer une hésitation.
    Un peu rougissante, elle reconnut enfin :
    — J’ai fini première de classe.
    — . . Vraiment ? Bravo !

    Son amie paraissait très heureuse pour elle. Thalie tendit une limonade à Estelle et une autre à Pierre.
    — Tu comprends, expliqua-t-elle, la seule façon d’être acceptées, de faire taire les gens, y compris les professeurs, qui aimeraient nous chasser de l’université, c’est de réussir mieux que nos camarades.
    — Tu as donc comme professeurs ce genre de médecins convaincus de l’infériorité de l’intelligence des femmes, car notre cerveau serait moins pesant que celui des hommes !
    Le mépris marquait la voix de la jeune veuve. Si on lui avait demandé lequel de ses enfants possédait l’esprit le plus vif, sa réponse aurait déçu ces grands savants.
    — La science rejoint la religion dans ce domaine, expliqua l’étudiante. D’autres affirment que Dieu nous a faites inférieures. Penses-y: il a d’abord créé Adam, et Eve à partir de la côte de ce dernier, car le pauvre homme s’ennuyait.
    — Alors tout est dit: le Créateur a fait de nous le jouet de nos compagnons.
    Thalie adressa un sourire à son interlocutrice, heureuse de la voir partager ses idées sur ce genre d’argument.
    — La seule solution, continua-t-elle, pour toutes les étudiantes, dans tous les domaines, c’est de travailler comme des folles. Aucune soirée à la taverne, aucune joute de hockey, pas même des tournées dans les magasins. Si tu nous voyais : nous passons tout notre temps dans nos livres.
    — Pas de tournées dans les magasins ?
    Son amie lui adressait un sourire à la fois amusé et sceptique.
    — Je l’avoue, parfois. Mais pour le reste, nous sommes sages comme des images.
    Tout le temps du repas, elles évoquèrent la vie des jeunes étudiantes, ces femmes d’une espèce nouvelle. Les yeux d’Élise trahissaient
    une
    certaine
    envie.
    Veuve
    avec
    des
    enfants, elle devait se contenter de servir de réceptionniste à son père. Cela rendait à peine plus supportable le fait qu’elle dépendait de lui pour le gîte et le couvert. L’Université Laval ne lui offrait aucun moyen de se doter d’une compétence professionnelle et de gagner une certaine indépendance.
    Une fois les sandwichs et les petits gâteaux consommés, les doigts des enfants soigneusement nettoyés avec une serviette, Estelle demanda :
    — Nous pouvons aller jouer?
    — Oui, bien sûr. Mais assurez-vous de toujours être à portée de mes yeux.
    Tous les deux s’élancèrent sur la plaine herbeuse.
    — Ils semblent bien se remettre, remarqua Thalie. Je veux dire, après une perte si cruelle. .
    — Parfois, ils se montrent tellement moroses.
    Sous ses yeux, Pierre se livrait { des culbutes. Sa sœur le regardait, posait ensuite les yeux sur sa jolie robe. Dans ce genre de situation, son statut de grande fille commençait déjà à lui peser.
    — Mes parents et moi, continua Elise, nous essayons de

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