Les hommes dans la prison
les murs de
geôles. Un conseil s’y retrouve ici, net, signé de mains sans nombre : N’avouez
jamais !
Un qui ne signe pas grave en petits caractères imprimés dans
ce nom calligraphié en belle ronde : Adèle, son expérience : Je
suis une cruche, j’ai avoué, je suis foutu, c’est bien fait pour moi.
Il y a des : J’ai avoué : 5 ans.
L’obscénité rayonne du plafond au sol carrelé, de la porte à
la latrine, en dessins qui sont parfois d’un fini pervers de miniatures
persanes. Dans une de « mes » cellules de la Souricière, une femme
nue dessinée à sa taille vraie, tenait toute la muraille du fond, le bas-ventre
fouaillé, les seins pointus, la bouche prostituée, difforme : l’artiste
halluciné n’avait pas su observer les proportions et n’avait fini avec une
laborieuse conscience que la chair sexuelle. Les yeux, les épaules, les bras
auraient pu être dessinés par un enfant – maladroit – de dix ans.
(Je n’ai vu de pornographie comparable à celle-ci, par le
délire de l’imagination et l’exclusion de tout souci d’art véritable, que
beaucoup plus tard en un tout autre lieu. C’était au Palais d’Hiver de
Pétrograd, dans l’étroit appartement de soldat du tsar Nicolas I er , l’un
des maîtres de l’Europe après Napoléon, l’une des têtes de la Sainte-Alliance. Une
armoire, dans une antichambre attenant à la chambre à coucher, dissimulait un
appareil à douches, et latéralement un porte-manteau, au fond duquel était
accroché un tableau anodin. Un mécanisme discret, familier aux mains augustes, permettait
d’écarter la première toile pour en apercevoir une seconde, peuplée celle-là d’un
fouillis frénétique de chairs purpurines, vermeilles, turgescentes, savamment
entremêlées…)
Sur ce même mur des doigts avaient laissé des traces fécales.
Quelqu’un avait écrit avec du sang. Brunies, les lettres de sang avaient l’aspect
de taches excrémentielles…
Quelqu’un avait traduit en une formule lapidaire le conseil
de tous : La Ferme ou la Crève.
Un garde municipal – deux pour les prévenus signalés
dangereux – vient quérir là le prévenu et le conduit, tenu au poignet par la
chaîne du cabriolet, au parquet. À un détour d’escalier, une petite porte de
chêne franchie, on se trouve dans une vaste salle, parmi les robes noires des
avocats, les groupes d’accusés encadrés d’uniformes, les greffiers, les
huissiers, monde affairé, bruissant où s’échangent des poignées de main et des
dossiers, de promptes confidences et des trahisons méditées. À la porte du
cabinet de « leur » juge d’instruction, des prévenus délibèrent
subrepticement. Une porte trop lentement fermée révèle l’anxiété d’une
confrontation. Un homme est dans cette pièce, seul, la tête dans les mains
(« … ce sont ses cheveux… ») et il sait, et il trahit, noyé qui ne
veut pas se noyer seul…
… Autour du 12 e -20, tiré de son compartiment de
la Souricière, le cœur battant à coups pressés – son sort se décide aujourd’hui
dans cette tête crépue, aperçue par l’entrebâillement d’une porte – l’indifférence
est si complète qu’il pourrait, les yeux clos, se croire seul. Sa détresse d’épave
échouée sur un banc, à côté de deux autres épaves pareilles – trois vols
qualifiés – n’est remarquée de personne parmi les allants et venants trop
affairés, trop habitués. Parfois un avocat, survenant tout à coup, touche une
main ou une épaule. Un bref colloque s’engage entre l’anxiété du 12 e -20
et la feinte attention rassurante et distraite du défenseur.
– Legris ! profère le greffier du juge d’instruction,
entrouvrant la porte.
Legris, 12 e -20 se lève, toujours tenu au poignet,
franchit en automate le seuil du cabinet, est ébloui par la lumière d’une large
fenêtre, la corpulence massive d’un monsieur qui écrit une lettre, la pensée
que c’est le juge d’instruction.
Autre compartiment de la Souricière. Legris se sent patte
cassée, pris au piège, devant le chat.
Des condamnés revenant des audiences correctionnelles
passent devant la Souricière. Le souvenir m’est surtout resté de femmes : d’une
que ramenait sanglotante, les cheveux défaits, la poitrine secouée de hoquets
convulsifs, un cipal paternel :
– Ça se tirera, ma petite, tes six mois. Tu seras déjà
dehors en décembre… Y t’diminueront p’t’être bien en appel…
(La chose
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