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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Jeanne et Madeleine Cordier.
    Labyrinthe de la vie.
    Elles furent du même convoi qu’Élisabeth Loubet. On tatoua sur leur bras gauche cinq chiffres bleus, 35000 pour Élisabeth, 35021 et 35023 pour Sarah et Nathalia. Elles couchèrent côte à côte.
    La nuit, quand la fatigue était trop lourde pour qu’elles puissent dormir, que chaque muscle durci était pris dans les griffes de la douleur, que l’estomac faisait mal, gonflé de faim, elles murmuraient, leurs bouches à tour de rôle contre l’oreille, Sarah parlait de Serge ou de son père, ou de David Wiesel, mort de la guerre avant qu’elle n’éclate. Élisabeth chuchotait le nom de Marco Naldi, cet officier italien qui travaillait avec son réseau de résistance et qu’elle aimait.
    Elles gardaient entre elles, pour la réchauffer et la bercer comme un nouveau-né, Nathalia Berelovitz. Elles lui caressaient le visage, embrassaient ses joues, ses tempes, sentaient sous leurs lèvres ces os de glace, découvraient que se creusaient chaque jour davantage les orbites, que les cheveux tombaient par touffes et que les yeux perdaient leur regard.
    Le matin, elles la soulevaient en la prenant aux aisselles, elles la soutenaient durant les appels quand la neige se mêlait à la fumée du crématoire et que s’arrêtait devant les baraques le camion où l’on jetait – balancement de cet objet long et raidi que des déportées tenaient par les extrémités – les corps laissés par la nuit.
    Puis elles entendirent le canon au loin, comme un remuement du ciel.
    Les SS les regroupèrent sur la place d’appel. Nathalia Berelovitz tenue aux épaules par les épaules de Sarah et d’Élisabeth qui l’encadraient. Le cœur de toutes, ces déportées rassemblées sous les aboiements des chiens et des kapos, battait au rythme des explosions de l’horizon.
    La liberté bientôt.
    Serge vers qui Sarah courait. S’il était en vie. Et elle retrouvait la peur. Si elle en avait la force. Et elle était résolue à ne pas mourir.
    Les SS commencèrent à tuer et Sarah se recroquevilla, sa main serrant le poignet de sa mère. Elle regardait droit devant elle sachant qu’Élisabeth tenait l’autre poignet de Nathalia Berelovitz, qu’elles allaient peut-être réussir à la sauver encore, pas après pas.
    Ils donnèrent l’ordre du départ et le cortège des femmes s’allongea sur la route, traversant les forêts. Les galoches déchiraient les talons, la faim poignait. Les coups de feu fermaient la colonne, couchant celles que la fatigue avait agenouillées.
    Nathalia ne marchait plus. Elle laissait sa tête dodeliner, et Sarah se souvenait d’un oiseau qu’elle avait recueilli dans sa paume où ? quand ? Elle s’accrochait à ces questions pour oublier ces pointes qui s’enfonçaient dans les talons et les mollets, fouaillaient de part et d’autre de sa poitrine au-dessous des seins, déchirant le souffle – où ? quand ? La tête de cet oiseau mort, ballante.
    Elle va mourir. Elle est morte.
    Ma mère est morte.
    Tomber avec elle sur la route. Les rangs s’ouvriraient et certaines qui avançaient les yeux fermés trébucheraient sur leurs corps. Les SS sans même s’arrêter tireraient plusieurs rafales.
    Une main s’est posée sur la nuque de Sarah, une autre desserrait ses doigts qui s’accrochaient au poignet de Nathalia Berelovitz. Élisabeth poussait ainsi Sarah en avant, la forçait à avancer, à abandonner sans se retourner ce qui l’avait fait elle, sa mère, tant de peurs depuis Varsovie, toute une vie traversée à craindre cet instant qui était venu sans qu’elle le sache, pensée, yeux morts depuis longtemps déjà. Trop épuisée Sarah pour hurler que ce n’était plus elle qui continuait de marcher, que la meilleure part d’elle-même, la plus vraie, celle par qui elle était, demeurait couchée sur la route, avec cette femme chauve qu’un SS retournait de la pointe de sa botte et sur laquelle il ne tirait pas, une pierre déjà.
    « Sarah, Sarah, disait Élisabeth, ne te retourne pas. »
    Elle donnait en parlant, son souffle. Elle partageait ses chances.
    Elle a soutenu Sarah jusqu’à ce que la nuit vienne, qu’elles s’allongent toutes deux sous les arbres, mâchonnant la mousse terreuse parce que la faim leur ouvrait la bouche malgré elles.
    Coups de feu encore, précédés par la flamme courte et violente qui éclairait les troncs et les corps. À l’est, derrière la forêt, par saccades jaunes, accompagnées

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