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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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des doigts de sa main gauche pour passer une ligne à l’autre, ce coup de pouce sur le clavier, et le tintement à l’extrémité du curseur, ce rituel mécanique qui faisait de l’écriture une action, la joie, une fébrilité heureuse – la salive qui vient, acide, l’avidité – ces sensations qu’il reconnaissait, les mêmes que celles de l’alcoolique, du drogué, du jouisseur, du chasseur ou du guerrier – peut-être du tueur. Il allait enfin posséder tout, dans l’unité première, se goinfrer de mots, s’en barbouiller le visage, le nez, les lèvres, le sexe, à grogner de plaisir et de dégoût, à se vautrer dans l’auge pleine, un livre à lui, à vider à grands coups de langue, à s’en remplir à en crever. Dehors ce flux, dedans ce pain.
    Il avait décroché le téléphone, ordonné en deux ou trois phrases à la femme de ménage noire de ne plus monter au grenier, où il s’était installé pour être séparé d’elle.
    « … Pommes, riz, jambon, chocolat, pain italien, OK  ? »
    « … Tous les jours la même chose, Monsieur Gallway ? »
    « … Pommes, riz… »
    Il répétait en martelant les mots. Elle hochait la tête.
    « … Je fais pas le ménage en haut ? »
    Il hurlait :
    « … Non ! »
    Il reprenait d’une voix douce :
    « … Excusez-moi, dans deux mois je m’en vais, vous aurez des années pour tout nettoyer, on est d’accord ? »
    Il relisait chaque soir ce qu’il avait écrit. Pages qu’il raturait, dont il aimait les alternances grises et noires, tableau abstrait où s’inscrivaient les jours de 1940, Catherine Jaspars, Sarah Berelovitz. Roman, témoignage, Tina s’appelait Erika. Il évoquait sa rencontre avec Gilbert Jaspars devenu depuis l’idéologue du maréchal Pétain dont, disait-on, il écrivait les discours. Le titre, bon, mauvais ? The grey sun, « Le Soleil gris », pour dire l’éclatante lumière des jours de juin en 1940 et cette France que peu à peu recouvrait la poussière de la peur et de la guerre.
    Fin mai 1941 Gallway téléphonait à Malcolm.
    « … Alors, ce voyage, tu l’organises ? »
    « … Fini ? »
    « … Je te l’apporte », répondait Gallway. »
    Il avait appelé Tina. Il entendait cependant que la bonne allait la chercher, un bruit de voix, une réception sans doute, Bowler avait dû rentrer de Londres. Gallway imagina Jorge courant dans le salon, d’un invité à l’autre. La voix de Tina différente, sèche, mondaine. Puis il se nommait et dans l’étonnement « Allen, Allen », la douceur de jadis, les jours de route quand commençait à tomber la neige et qu’elle chantonnait, berçant Jorge. Quelques mots seulement.
    « … J’ai travaillé, disait-il, je sais le faire. »
    Elle riait.
    « … Je suis heureuse, Allen, de vous entendre, j’étais inquiète, Malcolm m’avait dit, mais… »
    « … Je voulais vous dire au revoir… »
    Il s’offrait un repas de prince dans un restaurant italien. Le vin pétillait, couvert d’une écume rose et la sauce des pâtes avait la même saveur que celle que préparait autrefois Mama Caterina. Il mangeait lentement, comme un ouvrier manuel qui a accompli sa tâche. Mais la paix était brève. Il rentrait et l’abattement, coup sur la nuque. Un livre encore écrit, à quoi bon. Pour qui ? L’appartement sans la rumeur des mots était vide. Gallway ressortait, passait la nuit à somnoler dans un bar, des femmes autour de lui, comme des lucioles qui se dérobent.
    Heureusement, il lui fallait les jours suivants obtenir les visas, discuter avec Schuller et le départ venait enfin. Lisbonne, Madrid et les salons de l’Hôtel Escurial où l’on croisait les informateurs et les espions du monde entier. Les événements, les articles à téléphoner, quelques femmes, rien que la guerre, jusqu’à ce mois d’août 1944 où il retrouvait Bowler à Londres, leur arrivée en France en septembre, cette lettre de Tina que Bowler montrait à Gallway, dans la jeep qui roulait vers Paris. « Elle veut venir me rejoindre ici, avec Jorge, qu’est-ce que tu en dis ? » Les souvenirs du « soleil gris » de juin 1940, Serge Cordelier, Sarah Berelovitz, la cellule du 84, avenue Foch, la peur de rencontrer à chaque pas leur souffrance ou leur mort.
    Sarah Berelovitz savait. À chaque pas la souffrance et la mort. Les SS avaient commencé à tuer sur la place d’appel, avant même le départ. Ils tuaient pour un regard qui se

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