Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II
m’entourent comme une eau qui monte. Mon fils dort. C’est pour lui que j’écris.
Je n’espère pas lui communiquer mon expérience. Qu’ai-je appris d’ailleurs ? Je n’ai aucune illusion. Je ne sais rien sinon que Samuel est différent de moi, têtu déjà comme l’était son père. Il a le front étroit de Christophe, les cheveux noirs plantés dru si bas sur les tempes qu’ils paraissent être liés aux sourcils.
Quelle part de moi en lui ?
J’ai aimé Christophe. J’ai voulu un enfant, malgré lui, pour que demeure dans la vie ce temps que nous avions partagé et notre passion que je savais passagère. Je ne le regrette pas.
Je n’écris que pour tenter de me connaître, pour mieux comprendre Samuel. Je n’écris pas pour lui léguer un livre. Ce que je peux lui donner, c’est mon amour. Ce que j’ai reçu de Sarah.
Je voulais donc expliquer à maman que je savais. Elle se dérobait, m’empêchait de parler dès qu’elle sentait que je m’aventurais dans le labyrinthe de mes origines.
Comment lui dire ?
Durant des semaines je n’ai pensé qu’à cela. J’en devins une élève inattentive qui ne réussissait plus une seule de ses dictées et était incapable d’apprendre ses récitations. Jusque-là j’avais été l’une des meilleures élèves mais l’institutrice s’étonnait –, pour ma dernière année à l’école de Cabris, je sombrais.
En recomposant mes idées d’alors, comme je l’aurais fait à l’époque d’un puzzle, je m’interroge. Cette lucidité que je me prête, cette volonté que je m’attribue, les ai-je eues réellement ?
Je me demande si je n’agissais pas plutôt instinctivement, non pas maîtresse de moi, comme mon récit peut le laisser croire, mais bien plutôt soumise à mes sentiments, à mon désir d’aimer et d’être aimée, à ma peur de cesser de l’être. Je cherchais peut-être tout simplement à lier pour toujours à moi Sarah, à l’obliger à demeurer ma mère, même si je l’avais démasquée. C’était un pari angoissant pour moi.
Je crois que je l’ai gagné un matin dans la salle de bains.
Je riais – de cela je suis sûre, je sais encore la manière dont je riais, comme quand on tombe et qu’on hésite entre les larmes et le rire – je ne me souviens plus de ce que j’ai dit mais entre Sarah et moi, à partir de ce matin-là, tout fut clair, plus tendre, plus passionné que par le passé.
Mes dernières compositions de l’année furent brillantes.
« … Elle s’est redressée », disait l’institutrice à Sarah.
« Tu m’as fait peur, Nathalia », ajoutait-elle tournée vers moi, puis à Sarah à nouveau : « Peut-être la croissance, avec les enfants, on ne sait jamais. »
Je les laissais bavarder, je partais en avant, traversant le pré, j’allais chez Mietek.
La porte de sa bastide était toujours ouverte. Il travaillait torse nu ou bien il portait un tricot rouge à mailles lâches, comme celles d’un filet. Je m’asseyais près de lui, je suivais le mouvement de ses mains cependant qu’il assemblait des tiges d’acier. Je disais :
« … J’entre au lycée, Mietek. » Il marmonnait :
« Bien, bien. »
Je prenais une feuille, des fusains, je dessinais.
« Nous ne sommes que deux, Laurence et moi. »
Sarah nous rejoignait.
J’aimais la voir chez Mietek : elle rajeunissait, parlait plus vite, le visage animé. Il la rudoyait, l’embrassait, je l’observais comme si j’avais eu devant moi la petite fille qu’elle avait été.
« … Et la musique, interrogeait Mietek, tu la prives de piano pour le lycée ? »
Sarah s’approchait de moi :
« … Nous continuerons toutes les deux », murmurait-elle.
« … Pour une fois ton Cordelier a raison, tu veux la garder avec toi, c’est tout. »
Je serrais la taille de Sarah.
« … Je veux rester avec maman. »
Je l’avais déjà dit à Serge. Un dimanche soir alors que nous dînions sur la terrasse, les papillons se heurtant à l’abat-jour de la lampe et j’entendais le bruissement qu’ils faisaient emprisonnés dans le cône de toile, Serge avait interrogé Sarah :
« … Vous inscrivez Nathalia au Conservatoire, n’est-ce pas ? Nous pouvons nous installer rue d’Assas, l’appartement est plus grand… »
« … Je ne retournerai pas à Paris, Serge. Nathalia ira au lycée ici. »
Je n’avais pas attendu la réponse de Serge. Je m’étais levée, rapprochée de maman et glissée
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