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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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un repli de ma peau qu’elle n’ait touché, embrassé. Et elle ne découvrait rien. Nous étions l’une et l’autre enfermées dans le corps secret de nos émotions.
    — Ils font appel à De Gaulle, disait Sarah, je comprends pourquoi Serge… Tu te souviens ?
    Il me fallait écouter Sarah, la radio, l’annonce que les généraux à Alger réclamaient le retour du général De Gaulle au pouvoir. Serge, lors de son dernier séjour au mas, alors que Sarah prédisait que la France serait en Algérie « obligée de partir comme en Indochine », s’était emporté.
    « … Question de régime, avait-il dit, rien ne dit que celui-ci s’éternise, croyez-moi. Il est pourri, Sarah, sa tête est déjà morte. Plus un homme de valeur. Mendès peut-être, mais il a été gonflé. Si c’était un homme d’État on le saurait. Il n’a réussi qu’à négocier notre départ d’Indochine et de Tunisie. Pour un homme d’État, curieux palmarès ! Mais la situation ne se reproduira pas. N’oubliez pas De Gaulle, Sarah, ne m’oubliez pas aussi, je joue ma petite partition. »
    Je cherchais toujours les mots, je voulais tenter de dire, mais Sarah m’obligeait à me taire, la radio annonçait que Monsieur Serge Cordelier, député des Alpes-Maritimes, dont la fidélité envers le général De Gaulle… Il demandait au nom des Compagnons de la Libération qu’on charge le général De Gaulle de prendre en main le destin du pays.
    Pour dire les événements du monde, les mots jaillissaient à profusion. Ils ne manquaient que pour parler du plus intime de soi.
    J’avais envie de crier, de faire des gestes.
    J’ai embrassé Sarah qui, une cigarette au bout des doigts, rêvait écoutant la radio.
    Je suis entrée dans ma chambre et j’ai pris beaucoup de temps à laver la tache rouge.
    Le premier été de mon corps.
    Je voyais Claude tous les jours. J’attendais son coup de téléphone, vers 2 heures de l’après-midi. Je savais que Sarah somnolait. Je courais dans le couloir sur les tommettes zébrées par les rayures des volets clos. Quelques mètres seulement et pourtant j’étais essoufflée comme si j’avais dû gravir la pente abrupte d’une vallée. C’était cela. J’étais tapie dès la fin du repas dans une somnolence lointaine et attentive, enfouie au fond d’un trou de solitude. Sarah me parlait, j’enregistrais les renseignements utiles « je vais dormir un peu, cette chaleur », ou bien « Élisabeth m’attend, tu viens avec moi ? Je pars tout de suite ». Je répondais difficilement d’un mouvement de tête.
    Si Sarah restait au mas, je disais, phrase devenue rituelle : « Laurence va peut-être me téléphoner, j’irai chez elle jusqu’à ce soir. »
    Rien ne bougeait dans la maison à ce mensonge et je m’en étonnais à chaque fois comme d’un miracle de plus en plus extraordinaire. J’attendais que se déclenche l’avalanche qui allait me couvrir de honte. J’étais blottie dans ma chambre, immobile.
    Le téléphone.
    Je bondissais. Je courais depuis l’extrême de mon attente. Parfois une voix morte : « Madame Cordelier ? Je vous passe Monsieur le ministre, un instant s’il vous plaît. » En posant brutalement l’appareil, je criais : « maman, Serge », et je retournais dans ma chambre comme si l’on m’avait repoussée du sommet de la côte et qu’il m’eût fallu recommencer l’ascension.
    Si Sarah était absente, j’étais contrainte d’écouter Serge. « Excuse-moi auprès de ta mère, veux-tu ? Nous sommes mobilisés ici, nous devons tout reconstruire, constitution, armée. L’État, pour toi, ce mot ne signifie rien, bien sûr… » Je l’interrompais : « Ne me fais pas un cours, je t’en prie. Je dois dire quoi ? »
    Il n’était, depuis sa désignation comme ministre des Anciens Combattants, venu qu’une seule fois, la voiture officielle de la préfecture se garant sous les cyprès et je voyais de ma fenêtre le chauffeur se précipiter, ouvrir la portière.
    Je détestais cette façon qu’avait Serge de prendre le bras du chef de cabinet, de le présenter : « Chapuis, mon chef de cabinet, tout à fait remarquable. »
    J’avais appris, depuis que je faisais l’amour, à regarder les corps. Ceux de Chapuis et de Serge me paraissaient morts, incapables de se glisser entre des bras, d’y demeurer enfermés, assoupis. Corps qui ne pouvaient jamais se dévêtir même quand ils étaient nus.
    Enfin j’avais Claude au

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