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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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sous son bras, « ici avec toi », avais-je répété.
    Serge nous avait regardées.
    « … Si l’on consulte les enfants », avait-il dit.
    Puis cette phrase par laquelle il me rejetait : « Elle est à vous après tout. »
    J’ai souffert plusieurs années de l’attitude de Serge. Je lui en voulais de nous quitter. Je sentais que Sarah, malgré l’indifférence qu’elle affectait, eût aimé qu’il restât avec nous au mas. Mais à cause de cela, j’étais aussi jalouse de lui. Il téléphonait et au pas de Sarah, à sa façon de descendre l’escalier, sautant une marche, ses talons claquant avec vigueur, je savais qu’il avait annoncé son arrivée.
    Ainsi, je ne suffisais pas à Sarah.
    Je boudais. Je prétextais une version latine à terminer. Je refusais de jouer du piano.
    « … Pas le temps, de toute façon ça ne servira à rien. »
    Il arrivait, ouvrait déjà ses dossiers.
    « … Il faut que je vois Castellan, disait-il. Je ne déjeunerai pas ici demain, il y a une réunion du Conseil général. »
    Je devinais la peine de Sarah, l’effort qu’elle faisait pour se maîtriser, pour dire :
    « … Nathalia et moi nous allons chez Élisabeth, passez si vous avez un moment, son mari sera là. »
    Prétexte. Elle était triste et je haïssais Serge de ne pas s’en apercevoir.
    « … Très bien », disait-il.
    Il téléphonait, feuilletait un dossier :
    « … Alors, mon cher ami, qu’avez-vous décidé pour demain, vous votez pour ? »
    Je devins son adversaire.
    Au lycée, la guerre d’Algérie divisait dans les grandes classes les élèves et les professeurs. Je m’attardais à la sortie, je n’osais encore m’approcher de ceux qui distribuaient des tracts. Laurence Castellan prenait mon bras : « allons viens ». Nous attendions le car de Cabris assises à la terrasse d’un café qui, au printemps, s’étendait sous l’épaisseur verte des platanes. Je fumais mes premières cigarettes, je levais les yeux vers Claude qui était avec nous en première et qui, appuyé des deux mains à la table, proposait de me raccompagner jusqu’au village à moto.
    Je découvrais cette chaleur des joues et ce battement dans la gorge qui m’empêchaient de répondre et je me contentais de secouer la tête, cependant que Laurence riait. Elle refusait elle aussi et nous grimpions dans le car, nous asseyant sur la dernière banquette, tout au fond, faisant des signes à Claude qui roulait derrière nous puis doublait le car.
    Nous le retrouvions à l’arrêt de Cabris, Laurence s’éloignait en direction du village, je marchais près de Claude qui avançait courbé sur le guidon de sa moto. Nous allions lentement le long de la route qui borde le pré, il me parlait de Monod, le professeur d’histoire dont on voyait le nom inscrit sur des affiches lacérées, collées au mur de la vieille ville.
    « … Il a travaillé chez Renault avant d’être prof, disait Claude. Lui, il s’engage à fond. On l’a arrêté quand il y a eu les manifestations de soldats, en 56. »
    Je m’asseyais sur un banc, face à la montagne. Claude s’installait près de moi, les bras ouverts sur le dossier et je sentais sa main contre mon dos.
    « … Tu as signé pour la paix ? »
    Il fouillait dans ses poches et en ramenant son bras il avait touché mon cou.
    Je me souviens de ma joie craintive, de la ligne bleue du relief à laquelle je voulais accrocher mon regard pour ne pas tourner mon visage vers Claude, nos lèvres trop proches alors. Mais il fallait bien que je lui dise : « Je suis en retard, tu m’emmènes ? »
    J’ai senti ses cheveux sur mon front et sa main pesait sur ma nuque. Il fallait sur la moto que je colle à lui, mes bras autour de sa taille. Je lui hurlais dans l’oreille de tourner à gauche mais il prenait vers la montagne et j’avais mes cuisses contre les siennes. Nous montions dans le fracas et la nuit vers ces étendues pierreuses où s’accrochent les chênes nains. Il perçait la route et je me taisais, le froid dans la bouche, les yeux coupés par le vent qui me glaçait aussi le ventre, glissait sous ma robe et m’obligeait à presser ma poitrine contre son dos.
    Nous avons cahoté sur l’un de ces chemins de terre qui partent en pente raide de la route et qui s’enfoncent entre les arbres. La lumière jaune du phare dressait les branches devant nous.
    Il s’est arrêté et le silence m’a saisie, cependant qu’il couchait la moto sur le

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