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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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temps qui corrompt. Je me disais qu’être femme c’est vivre cela à chaque instant, le savoir dans son corps, par son corps. J’étais douloureusement heureuse d’être une femme. J’avais envie de retrouver Sarah, de lui parler, de rester avec elle. Je comprenais maintenant qu’elle soit encore émue par Serge, comme je l’étais par Claude, par cette pantomime masculine à laquelle tous les hommes peut-être se livraient.
    Je me laissais caresser, je feignais de croire Claude, je disais qu’il me fallait rentrer, que j’allais prendre le car, qu’il avait des choses graves à faire, une frontière à passer.
    Je voulais le quitter vite.
    — Vraiment, disait-il, j’ai le temps, je peux…
    Je secouais la tête. Je murmurais : « … Merci d’être venu me chercher, Claude, sois prudent. »
    Aujourd’hui je m’accuse de ne pas avoir été généreuse. Il eût fallu peut-être refuser cette parodie, me démasquer, obliger Claude à comprendre et non lui mentir.
    J’ai des excuses. Je n’avais jamais aimé.
    Claude parti, je n’eus guère le temps de penser à lui. Un journal d’extrême droite, Le Défi, mettait en cause le passé de Sarah pour attaquer Serge Cordelier.
    L’éloignement de Claude, mon apprentissage de l’amour m’avaient encore rapprochée de Sarah. Au lycée j’avais aussi rejoint les quelques élèves qui animaient un Comité pour la Paix en Algérie. Je m’aventurais ainsi, sans le savoir, dans la politique et je mesurais la haine qu’elle suscite aux insultes que nous lançaient parfois des élèves rapatriés d’Algérie. Le corps, l’amour, devenaient outils de violence.
    « Dans le cul ta paix, salope », « pute », « et ça, elle est pas belle. »
    Ils mettaient leur paume sous leur sexe, comme s’ils s’apprêtaient à le soulever, à le brandir, arme élémentaire de l’homme.
    À ces instants-là, je me souvenais de la dernière après-midi avec Claude, dans l’hôtel du Haut-de-Cagnes. Lui aussi s’était servi de son sexe contre moi. Mais je n’avais pas de ressentiment. Il m’avait ainsi appris que le corps de l’autre, s’il n’est pas aimant est ennemi et certains regards me faisaient proie.
    Dans le car qui me ramenait à Cabris je sentais souvent l’insistance à détailler mes jambes quand je montais les marches et que ma jupe se soulevait, à fixer mes seins si je me penchais.
    Je haïssais cette mise à l’encan. J’étais une personne et pas seulement un assemblage de parties désirables. Je comprenais qu’une femme doit toujours se reconstituer, lutter contre la désarticulation qu’opère l’homme avec elle, cette réduction de ce qu’elle est à des formes séparées. Je ne me laisserais pas diviser. Si je suscitais du désir ce serait pour moi tout entière.
    Je portais de plus en plus souvent des pantalons, une blouse ample qui dissimulait le modelé de mes seins. Je me distinguais de Laurence qui choisissait des chaussures à talons hauts, des jupes courtes, un maquillage de parade.
    « … Tu t’habilles comme moi, disait Sarah, c’est bien austère. »
    Je l’embrassais. Je devinais qu’elle avait besoin de mon affection. Je recommençais à l’appeler maman, je m’indignais quand elle me lisait les articles du Défi. Je regardais le journal télévisé chaque soir dans l’attente d’une déclaration de Serge. J’ai essayé de lui téléphoner. Je voulais lui dire combien Sarah espérait un signe de lui. Elle ne demanderait rien, trop fière pour cela, mais elle attendait.
    Je n’ai pu obtenir Serge. Je craignais qu’il ne se dérobe. Il était courageux, mais peut-être par une perversion inconsciente, imaginerait-il qu’il fallait sacrifier Sarah à des « intérêts supérieurs ». Il prendrait une pose héroïque pour défendre mesquinement sa carrière.
    Dès que j’avais un instant, je retrouvais Sarah.
    Je l’interrogeais. Je sentais qu’elle désirait se confier à moi, que ce passé que d’autres dénaturaient, elle voulait, pour elle d’abord, le revivre comme elle l’avait vécu. J’attendais près d’elle, devant le feu que j’allumais parfois, qu’elle se décidât. Les souches d’olivier brûlaient lentement, l’écorce éclatant comme un cri bref. J’étais assise par terre face à la cheminée, le dos appuyé aux jambes de Sarah. Elle posait sa main sur mes cheveux.
    Un soir elle commença.
    Elle voulait longuement évoquer mon adoption. Je l’interrompais. Une route en

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