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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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n’avaient pas répondu à son appel.
    Christophe aux cheveux bouclés, Christophe aux cheveux ras. La mémoire a comblé l’intervalle du temps, des années qui séparaient les deux visages. Je les confonds. Je juxtapose à ces phrases qu’il m’écrivit peu avant son suicide :
    L’homme est écartelé
    Et nous vivons, l’absence
    d’Unité
    Mourir d’un choix
    Et non crever
    À quatre pattes
    Les premiers mots que nous échangeâmes après la réunion rue d’Ulm.
    « … Tu viens d’où, me demandait Christophe, UEC ? »
    J’ignorais le sens des initiales. Je répondais « Irlande ».
    Il riait d’une longue secousse bruyante qui le rajeunissait encore, il me prenait par l’épaule.
    « … On va parler, UEC : Union des Étudiants Communistes », et il m’entraînait vers les jardins de l’Observatoire, sous ce ciel orageux d’août.
    Quand nous sortions du café à l’angle de la rue du Val-de-Grâce et du boulevard Saint-Michel…
    Mais j’ai déjà situé ce lieu. À tout mêler je ne sais plus ce que j’ai dit. Bientôt je vais parler de Samuel avant même de raconter que Christophe et moi nous vivions ensemble depuis plusieurs années et j’oublierai d’expliquer que je voulais cet enfant pour m’accrocher à la vie, pour me souvenir de Christophe dont je savais qu’il allait me quitter.
    Je dois renoncer à ce vice de la mémoire qui veut tout revivre simultanément. Je vais suivre la pente naturelle du temps.
    Il me faut commencer par Renvyle, la maison longue et basse d’Allen Roy Gallway.
    Allen avait écrit à Sarah : « Nous vivons entre les pierres et les vagues. » Je découvrais d’abord le ciel couleur de galets ; la terre brune dans laquelle les paysans creusaient de longues tranchées, puis ils avançaient courbés vers la route, portant des hottes lourdes, remplies de tourbe.
    Sarah ne m’accompagnait pas. À mon retour d’Italie, elle m’avait évitée. Elle était malade, expliquait-elle. Jamais je ne l’avais vue ainsi, distante et silencieuse, évitant de me regarder comme si je l’avais trahie. J’insistais : « Nous partirons ensemble, sinon… »
    Elle me montrait la réponse d’Allen :
    « … Je lui ai écrit que tu arrivais, disait-elle. Il t’attend, sa femme a besoin de quelqu’un pour garder leur fils. Elle souffre de je ne sais quoi. Tu auras même un salaire, indépendante tout à fait. Ce qu’il te faut, tu ne crois pas ? »
    Jouait-elle ce rôle pour que je puisse la quitter sans remords ou bien se révoltait-elle, malgré elle, contre mon départ ?
    Il me semblait que j’avais fait ce que je devais.
    Un matin, j’ai téléphoné à l’aéroport, organisé mon voyage, Nice-Londres-Dublin, préparé mes bagages sans avertir Sarah. À déjeuner, comme elle se taisait je lui ai demandé d’appeler Allen, j’arriverais à Dublin le lendemain, s’il voulait m’y attendre.
    — Tu pars ? demandait Sarah.
    J’avais déjà retenu un taxi.
    — C’est ce que tu voulais, n’est-ce pas ?
    J’étais agressive. Je me le reproche, mais souvent les mots éclatent comme des coups de feu, par imprudence. Je ne connaissais pas encore la force de certaines répliques. Je me croyais toujours menacée, attaquée.
    Qui m’aimait ? J’imaginais que je ne souffrais plus d’être une enfant de parents perdus ou morts. N’avais-je pas appris très tôt quelles étaient mes origines ? Sarah, je l’avais voulue ma mère autant qu’elle m’avait choisie sa fille. Et je croyais que décider suffit.
    Mais j’ai un fils. Dès qu’on a posé Samuel encore gluant sur mon ventre, j’ai su que nos corps étaient des machines à mémoire, que la peau se souvenait, que mes muscles garderaient présentes leurs tensions quand il leur avait fallu porter cette vie naissante puis se tendre pour lui donner le jour. Mémoire instinctive et charnelle d’avant le langage, d’avant la naissance. Samuel sait qu’il a sa place au creux de moi. Je reconnais son odeur, sa peau : son front appartient à Christophe, mais un Christophe que j’ai remodelé.
    Quand je lave Samuel, que ma main glisse vers l’aine, que je touche son sexe, j’ai envie de rire. Il est de moi, ce fils. Samuel se contorsionne comme un petit chat qui se mettrait sur le dos. Il ronronne. Il ne me craint pas. Il s’ouvre, ma tendresse et ma peau lui appartiennent, il retrouve à mon contact, j’en suis sûre, le temps protégé d’avant le premier cri.
    Moi, je n’ai

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