Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
avait connu cela quand il était enfant et qu’il courait avec Jim sur les quais pour échapper à une bande de gosses qui voulaient imposer leurs lois.
    Mais il n’avait pas crié.
    Il dépliait la lettre. Écriture maladroite, phrases inachevées, et cette signature, d’abord cela : «  John. Ton père qui est fier et a honte. » Le désir de ne pas lire pour que ne cèdent pas ses murs tenus à bout de travail depuis tant d’années pour demeurer digne, croire comme dans le premier récit qu’Allen avait écrit, celui de l’île, quand John était emporté par un raz de marée, qu’il restait une chance pour qu’il se sauve, accroché à un tronc d’arbre.
    Pas d’incertitude dans la lettre, pas de tronc d’arbre, mais ces phrases comme la charge qui avait frappé Jim en pleine tête, front étoilé du fils aîné que le père n’avait pu regarder.
    Toi, écrivait-il, ta mère, je vous ai laissés. J’ai honte. Mais puisque tu écris des histoires, tu fais des livres et tout le monde dit qu’ils sont beaux, tu comprendras mon histoire.
    Mais même si tu comprends, je garde ma honte. Ne me maudis pas, fils.
    Sur le pont, tout le monde savait que j’étais courageux. On me l’avait dit souvent, et moi je le croyais. Pas vrai, fils. J’ai déserté. Je vous ai laissés, Magrit et toi. Depuis, je suis malade et maintenant je m’en vais. Un infirmier m’a dit que j’avais le même nom qu’un écrivain. Et des Allen Roy, ils sont pas nombreux sûrement. J’ai pas lu ton livre, je lis mal. J’ai peur aussi que tu parles de moi comme je le mérite. Mais je pourrais pas lire cela. Je suis assez malade comme ça. J’ai assez honte tout seul.
    Je t’écris parce que tu dois savoir que je suis tombé malade d’avoir mal agi.
    Toi, fils, tu agis bien, je le sens.
    Je t’embrasse.
    Tu étais le plus petit. Moi je croyais que tu m’aimais pas parce que tu m’avais pas vu souvent. Maintenant, quand on est malade, on devine des choses qu’avant on ne comprenait pas, je suis sûr que tu m’aimes bien.
    Salut fils,
    John.
    Ton père qui est fier et a honte.
    Prendre le père à pleins bras puisqu’on est devenu un homme, lui dire : « Tu t’es battu à ta manière et quand tu es rentré après m’avoir chassé, tu avais le visage tuméfié. Tu n’avais plus de regard, souviens-toi. Tu aimais Jim à risquer ta peau, et aimer Jim c’était m’aimer moi. Qui peut t’en vouloir de ne pas avoir pu tenir le cap ? Tu n’as pas déserté. Naufrage ta vie. Et je ne peux plus rien te dire. » Naufrage ma vie.
    Combien d’heures passées le front sur cette lettre ? Allen ne pouvait le préciser. Il sursauta quand on ouvrit la porte du bureau, alluma la lumière. Une jeune femme le dévisageait avec étonnement. Elle portait un imperméable serré à la taille, un béret sur des cheveux mi-longs, presque roux, un sac noir dans la main gauche. Elle commençait une phrase qu’Allen ne comprenait même pas, elle s’approchait, disait : « Vous n’êtes pas bien ? Je peux vous aider ? » Allen secouait la tête, s’essuyait les yeux mais elle s’asseyait en face de lui.
    — Vous n’êtes pas bien ? répétait-elle.
    Elle allumait une cigarette.
    — Vous êtes Allen Roy Gallway, n’est-ce pas ? J’ai aimé votre livre. Quand on a écrit ça, on doit être bien.
    Journaliste, traductrice, Tina Deutcher se tut mais ne bougea pas. Allen cachait ses yeux avec sa paume, le coude appuyé à la table.
    — On ne reste pas comme ça, dit Tina après un long moment. Vous avez l’air mort.
    Elle avait parlé avec force et révolte. Allen la regarda, lui tendit la lettre de son père, puis il enferma son visage dans ses bras, les lèvres contre le bois de la table.
    Tina s’approchait, prenant Allen par la manche, le forçait à se lever.
    — On va dîner, disait-elle à voix basse, on parlera.
    Tina écouta Allen jusqu’à l’aube. Il avait commencé à parler à la fin du dîner, dans un restaurant chinois de Greenwich Village où elle l’avait conduit. « J’écrirai, disait-il, un roman que j’appellerai Mère, qu’est-ce que c’était que sa vie, à ma mère, à Mama Caterina, à mon père ? Il me semble que je n’ai encore rien écrit de ce que je dois, vous comprenez ? »
    Ils marchèrent vers Brooklyn. Allen racontait toujours. « Ces vieux, ils avaient embarqué à Hambourg, un couple de Russes, exilés émigrants, elle, au deuxième jour du voyage, on venait à peine

Weitere Kostenlose Bücher