Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I
elle refusait à l’hôtel de l’autoriser à entrer dans sa chambre, ne pas admettre cette agressivité.
— Je ne vous ai rien promis, Allen, je suis avec vous parce que j’avais envie de vous voir travailler, c’est tout.
Portes claquées, violence qu’Allen ne pouvait contrôler. Désir de la bousculer, de se coucher sur elle, mais tout à coup la lassitude : « Au diable ! »
Quitter l’hôtel avant qu’elle soit levée. « Au diable, Tina Deutcher. »
Le reportage d’Allen Roy Gallway sur les chômeurs de la région des grands lacs secoua l’opinion américaine. Le texte était porté par une colère que chaque lecteur ressentait. L’agent littéraire d’Allen – Schuller – était assiégé par les directeurs de journaux. « Ils en veulent tous, disait-il à Allen, vous devriez accepter, vous nourrissez votre imagination, vous vous renouvelez et vous remplissez votre estomac. »
— Le vôtre aussi, disait Allen.
Il hésitait. Le roman paraissait dans quelques jours, à nouveau attendre les articles des critiques, répondre à quelques interviews, flâner dans Bleecker Street ; rentrer avec une fille, téléphoner à Bowler, rouler jusqu’à Boston, marcher avec lui le long de la plage, retrouver la machine à écrire, une page à nouveau. La peur, pour la première fois chez Allen, de cette prison de mots qu’il construisait chaque matin, barreaux serrés des phrases. Pour ne pas vivre.
Habitudes déjà. L’espoir parfois, quand il interrompait une phrase, qu’il posait ses coudes de part et d’autre de la machine à écrire, qu’il appuyait son visage sur ses poings, que quelque chose allait surgir, incurvant sa vie, trop vite dessinée, les buts atteints, publié, connu, à l’abri du besoin, un agent littéraire, un éditeur, des lecteurs. Et ces chambres vides, en haut de l’escalier en colimaçon, 7 Bedford Street.
Malcolm téléphonait à Allen : « Le roman, incroyable Allen, on réimprime déjà, vous avez vu l’article dans le Washington Post ? Vous venez au cocktail, n’est-ce pas ? »
Salons de l’hôtel Plaza. Allen un peu voûté comme chaque fois qu’il se trouvait dans une foule, comme s’il avait voulu se faire pardonner sa taille, son succès ; les doigts de la main gauche sur la bouche, un geste de timidité, souriant, il avançait, serrait des mains, mal à l’aise, la certitude d’être maladroit. Malcolm le prenait par l’épaule.
— Vous ne connaissez pas Mackievicz, le cinéma parlant, c’est lui, expliquez-nous, Mac, vous allez faire parler les acteurs, on va entendre ?
Mackievicz riait. Il était à peine plus petit qu’Allen, très brun, un visage un peu mou, presque féminin. Tout à coup, Tina près de Mackievicz, tendue.
— Comment allez-vous, Allen ? demandait-elle.
Malcolm qui l’embrassait, disait en riant :
— Mackievicz, il faut que vous sachiez que nous avons, Allen et moi, été très amoureux de Tina, en vain – il secouait la tête – et c’est vous qu’elle épouse, le cinéma décidément, l’avenir, les livres sont morts. Devenez scénariste, Allen, moi je vais me faire producteur.
Il entraînait Allen, lui chuchotait.
— Ne faites pas cette tête, c’est lui qui est à plaindre, pas nous Allen, pas nous je vous assure.
Partir, fendre cette foule, mettre sa tête sous la douche, chasser les bavardages, la futilité bruyante. Embarquer comme marin à nouveau.
Schuller rattrapait Allen au moment où il sortait.
— Il y a Mervin, du Herald Tribune, qui veut absolument vous voir. Il le faut, Allen.
Ils s’asseyaient dans un salon, loin de la cohue. Mervin, un petit homme chauve, des lunettes rondes enfoncées dans les orbites, observait longuement Allen, lui tendait un cigare, en prenait un, fumait avec nonchalance.
— En somme, Gallway, vous n’avez pas trente ans et vous avez déjà fait le tour.
Il montrait les invités du cocktail.
— Qu’est-ce que vous voulez ? Devenir un écrivain new-yorkais ?
Il secouait le cigare.
— Vous ne le pourrez pas. Écoutez-moi. Il se penchait en avant.
— Pourquoi ne pas respirer un autre air ? Vous étouffez ici. – Il tapotait le genou d’Allen. – Mais si, mais si. – Mervin s’interrompait, reprenait. – Écoutez-moi, Gallway. Nous n’avons personne en Chine. Vous êtes de la côte Ouest, la Chine, c’est votre horizon, l’autre côté de l’océan. Qu’en pensez-vous, Gallway ? Trois, quatre mois, un an là-bas,
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