Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
Dieu ?
    Elle est là où gît le mystère, là au cœur de ce que nous appelons hasard.
    La mort de cet enfant sur les quais m’a d’abord horrifié. Elle était la preuve des lois cruelles et aveugles du hasard. Quand j’ai su que son jeune frère avait cinq ans lui aussi comme Dolorès et Serge, il m’est apparu que les événements s’ordonnaient. Et le bateau croisé, depuis disparu à l’Est me le confirme. Je suis soumis aux tempêtes mais je peux prier avec ferveur.
    Je t’embrasse ma chère Lucia ainsi que les tiens,
    Ton frère, Giulio.
    Lucia quitta le salon, s’obligeant à sourire dès qu’elle croisait le regard de l’un des invités. Le professeur Masseron, auquel Jean devait son élection à l’Académie des sciences, la retint, lui prenant le poignet d’un geste familier mais impérieux :
    — Chère Madame Cordelier, vous n’allez pas déjà nous abandonner, nous laisser entre nous ? Je ne suis ici que pour vous. Si vous partez je me retire, je sais bien que votre mari est élu.
    Masseron s’inclinait vers Lucia, lui embrassait la main :
    — La plus belle découverte de Cordelier, voulez-vous que je vous dise, chère Madame, c’est vous.
    Masseron était ridicule comme à l’habitude, avec sa courte barbe blanche taillée en pointe, sa redingote qui accusait son embonpoint, ce sourire bienveillant de grand-père égrillard, il ressemblait au roi d’Angleterre, cet Edouard VII dont les journaux publiaient les photographies.
    — Je reviens, professeur, je reviens, répéta Lucia.
    Elle dégageait résolument son poignet, retenant l’envie qu’elle avait de crier : « Mais laissez-moi, laissez-moi ». Elle s’en voulait de cette irritation, de l’impossibilité où elle était depuis le début de la soirée, dès que le premier invité était arrivé – Masseron d’ailleurs, non, ce devait être Jacquet, le chef de cabinet du ministre de l’Instruction publique – d’être attentive à leurs propos, flatteuse comme il se devait, enjouée et pourquoi pas séduisante ?
    Jean avait deviné son inquiétude, et à deux reprises, il s’était approché d’elle : « Quelque chose qui vous déplaît ? Êtes-vous malade, Lucia ? » Elle avait eu un mouvement trop vif, haussement d’épaule, visage qui se dérobait. Elle avait deviné la curiosité de Tournier, le député de l’arrondissement qui avait surpris son attitude. Elle avait dû bavarder avec lui pour qu’il oublie, qu’il ne jase pas, il faut si peu de mots à Paris pour rendre la vie impossible. Elle l’avait questionné avec révérence : « Monsieur le député, si je comprends bien vous êtes le représentant du plus intellectuel des arrondissements de Paris, vous avez la Sorbonne, le Collège de France. » Il s’inclinait : « Le plus prestigieux, Madame, il est vrai : le Panthéon y est compris. » Lucia l’entraînait à l’écart, devant l’une des fenêtres qui donnaient sur le jardin du Luxembourg. « Nous sommes de vos sujets en somme ? La rue Médicis c’est encore votre empire ? » Il riait, fat, les deux pouces dans les poches de son gilet. Plus petit que Lucia, il se tenait sur la pointe des pieds, le menton levé. « Mon empire, Madame Cordelier, je suis votre sujet puisque je ne suis qu’un élu républicain, je suis entre vos mains. » « Moi je ne vote pas, cher ami. Une femme n’a pas d’idée politique et n’a pas le droit d’en avoir. » Tournier lui tapotait le bras : « Allons, allons, Madame Cordelier, les femmes font l’opinion de leur mari, surtout – il s’inclinait à nouveau, du pouce et de l’index il touchait sa moustache – surtout quand elles ont votre charme transalpin. »
    Cela suffisait avec Tournier. Lucia avait joué les timides, les troublées, elle l’avait abandonné devant la fenêtre. Elle avait dû écouter Jacquet qui, le coude appuyé, pérorait. « La séparation de l’Église et de l’État est le fruit naturel de notre XVIII e  siècle, j’ajoute – et j’ai eu sur ce point, je ne vous le cacherai pas, de longues conversations avec Monsieur le président du Conseil – Combes m’a donc déclaré, évidemment nous sommes entre nous…» Il se redressait, semblait rechercher l’indiscret, l’adversaire : « Là se joue l’avenir de la République, continuait Jacquet, car l’Allemagne et la Russie…»
    Lucia passait. Elle connaissait ces jeux. Ils allaient évoquer la guerre russo-japonaise, l’alliance

Weitere Kostenlose Bücher